La libération de Mossoul pourrait s’avérer décisive
Il s’agit du plus important revers pour le groupe armé État islamique depuis sa fulgurante offensive il y a trois ans
Alors que l’Irak a déclaré dimanche la «victoire » à Mossoul contre le groupe armé État islamique (EI) à l’issue d’une bataille de près de neuf mois, les prochaines semaines seront les plus déterminantes puisqu’elles montreront si le groupe a véritablement été détruit ou seulement fragilisé.
Dimanche, le premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a annoncé la reprise de Mossoul, qui était sous le contrôle du groupe EI depuis juin 2014. Il s’agit du plus grand revers pour l’organisation djihadiste depuis sa fulgurante offensive il y a trois ans, rappelle Sami Aoun, professeur spécialisé en questions liées au Moyen-Orient de l’Université de Sherbrooke.
«On voit la fin, du moins temporaire, de cette hydre cauchemardesque qu’est le groupe EI, mais il faut être prudent, car le groupe a pris presque toutes ses forces dans la discorde qui existe entre sunnites et chiites. Pour que cette défaite soit durable, il faut aussi qu’elle se traduise par une réconciliation interirakienne», explique M. Aoun.
D’ailleurs, les combats ne semblaient pas être terminés dans la grande cité du Nord irakien, et des coups de feu et des frappes aériennes étaient encore audibles à l’heure où le bureau du premier ministre a publié son communiqué.
Le premier ministre s’est rendu à Mossoul pour féliciter les combattants et le peuple irakien «pour cette victoire majeure».
Une photo publiée sur son compte Twitter l’a montré vêtu d’un uniforme militaire arrivant dans la deuxième ville du pays.
La fin de l’occupation de la ville de Mossoul est une «étape décisive» dans la lutte «pour l’élimination du contrôle terroriste » de certaines zones en Irak, a estimé pour sa part la Commission européenne. «La reprise de Mossoul des mains de Daech [acronyme arabe du groupe
EI] marque une étape décisive dans la campagne pour l’élimination du contrôle terroriste de certaines zones en Irak et pour la libération de son peuple», ont commenté la responsable de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, et le commissaire chargé de l’aide humanitaire, Christos Stylianides, dans un communiqué commun.
Ils y rendent hommage au «courage du peuple d’Irak, à son gouvernement et à ses forces armées, ainsi qu’au sacrifice des vies militaires ou civiles fait pour parvenir à la victoire».
La guerre continue
La reconquête de Mossoul, dont le groupe EI avait fait son principal bastion en Irak, est la plus importante victoire du pays face aux djihadistes depuis que le groupe extrémiste sunnite s’était emparé en 2014 de vastes portions de son territoire.
Mais elle ne marque pas pour autant la fin de la guerre contre le groupe ultraradical, responsable d’atrocités dans les zones qu’il contrôle et d’attentats meurtriers dans le monde.
«Cette défaite est une phase
importante dans la destruction de l’utopie déclenchée par le groupe EI et il faudra continuer le combat dans les autres coins de l’Irak et surtout en Syrie. L’objectif est de déstructurer le groupe EI, non seulement de façon territoriale, mais aussi de lui enlever son pouvoir d’attraction », indique M. Aoun.
La reprise de la grande ville du nord intervient au terme d’une offensive lancée le 17 octobre par les forces irakiennes, soutenues par la coalition internationale dirigée par les États-Unis.
Les forces irakiennes avaient capturé en janvier l’est de la cité, puis attaqué l’ouest en février. Les combats se sont ensuite intensifiés à mesure que l’étau se resserrait sur les djihadistes dans la vieille ville, un espace étroit et densément peuplé.
Ces derniers jours, les quelques djihadistes encore présents à Mossoul étaient assiégés dans un réduit de la vieille ville, le long du Tigre.
Le commandement irakien des opérations conjointes a annoncé dimanche que les forces de sécurité avaient tué «30 terroristes » qui tentaient de s’enfuir en traversant le fleuve, qui sépare la cité en deux.
Pour les forces irakiennes, la victoire à Mossoul sonne comme une revanche.
La chute de la cité, le 10 juin 2014, avait été le symbole de l’effondrement de l’État irakien et de la débâcle de ses forces de sécurité face aux djihadistes qui avaient déferlé sur l’ouest et le nord du pays.
L’armée avait alors abandonné la ville et battu en retraite dans le désordre le plus total, laissant derrière elle armements et véhicules militaires, précieux butin pour les djihadistes.
Crise humanitaire
Ces neuf mois de campagne militaire ont entraîné une crise humanitaire majeure, marquée par la fuite de près d’un million de civils, dont 700 000 sont toujours déplacés, selon l’ONU.
Les civils piégés dans la ville ont vécu dans des conditions « terribles », subissant pénuries en tout genre, bombardements et intenses combats, et servant de «boucliers humains», d’après les Nations unies.
Au nombre des centaines de civils qui fuyaient quotidiennement ces derniers jours, des journalistes de l’AFP à Mossoul ont vu une soixantaine de femmes et des enfants, inconsolables et traumatisés.
Parmi eux, Fatima, qui venait de revoir le ciel après quatre mois passés dans un soussol, sans « presque aucune nourriture ni eau ». Quand son groupe s’est mis en marche, son frère a été touché par une balle de tireur d’élite djihadiste, a-t-elle raconté.
Plus loin, une mère de famille, tunique noire et voile bleu ciel, suppliait un soldat de l’écouter. Le visage défiguré par le chagrin, elle a dit qu’elle venait juste de perdre son fils de 7 ans dans un bombardement au moment de leur fuite. «Je n’ai rien pu faire », criait-elle.
Mossoul avait une dimension très symbolique pour le groupe EI: son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, y avait fait en juillet 2014 son unique apparition publique après la proclamation d’un «califat» sur les vastes territoires conquis par le groupe djihadiste en Irak et en Syrie.
Le sort d’Al-Baghdadi demeure incertain: la Russie a affirmé en juin l’avoir probablement tué dans une frappe en Syrie, mais personne n’a confirmé sa mort.
Le groupe EI contrôle cependant toujours quelques zones en Irak, notamment les villes de Tal Afar (50km à l’ouest de Mossoul) et Hawija (environ 300km au nord de Bagdad) et des zones désertiques de la province d’Al-Anbar (ouest), comme la région d’Al-Qaïm, frontalière de la Syrie.
Le groupe extrémiste tient également des territoires dans l’est et le centre de la Syrie, dont la vallée de l’Euphrate autour de Deir Ezzor, même s’il a perdu du terrain depuis 2015 et que son fief de Raqqa (nord) est assiégé par des forces soutenues par Washington.