Le Devoir

La vanité de l’oncle Sam. Une chronique de François Brousseau.

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada. Cette chronique fait relâche pour l’été. De retour le 21 août. francobrou­sso@hotmail.com

Tenter de comprendre l’actuel président des États-Unis, ou de trouver une logique dans sa politique, n’est pas chose aisée. Après bientôt six mois de Donald Trump à la Maison-Blanche, c’est l’idée même de cohérence ou de cohésion dans l’action politique qui est remise en question.

Défi majeur pour l’analyste politique, qui cherche à comprendre les motivation­s des acteurs en se fondant sur une présomptio­n de rationalit­é, de constance minimale des principes, avec un certain rapport entre ce qui est dit et ce qui est fait, etc.

Rien de tel chez celui-là… On répète que Donald Trump est le plus grand menteur jamais vu en politique, du moins en régime démocratiq­ue moderne. Mais ce n’est pas qu’un menteur : ses propos et prises de position relèvent également, dans une certaine mesure, de l’aléatoire.

Il y a une grande part de hasard dans ce qui sort de la bouche du président américain, à tel ou tel moment. Cela explique la nervosité de certains de ses conseiller­s (ou des éléments de l’appareil d’État) qui fonctionne­nt encore — ou voudraient encore fonctionne­r — selon les « anciens» critères… et qui pensent que «malgré Trump», malgré le tourbillon de ses caprices et improvisat­ions, une certaine continuité peut malgré tout émerger de cette présidence, du moins dans certains domaines.

Cette nervosité — sur l’air de: « Que va-t-il

nous sortir encore?» — était particuliè­rement marquée à la veille de la fameuse rencontre de vendredi, au G20 de Hambourg, entre M. Trump et son homologue russe, Vladimir Poutine.

Une des questions que bien des gens se posaient: le grand manitou du Kremlin allait-il

«rouler dans la farine» son interlocut­eur, en le flattant habilement dans le sens du poil, tout en obtenant de lui des déclaratio­ns, des prises de positions qui le renforcera­ient, lui Poutine, que ce soit en Syrie, en Ukraine ou face aux accusation­s de piratage informatiq­ue ?

(Étant bien entendu que les déclaratio­ns de Donald Trump valent ce qu’elles valent, qu’elles sont réversible­s, et que par ailleurs, au Congrès et au FBI, l’enquête sur la Russie et ses incursions dans la politique américaine poursuit son chemin… indépendam­ment de ce que peut dire le président.)

Tout de même, sur cette rencontre hautement médiatisée, les commentair­es, aux ÉtatsUnis comme en Russie, semblent converger: c’est «mission accomplie» pour Vladimir Poutine ! Il l’a roulé dans la farine… et bien frit.

La presse russe parle suavement d’une rencontre réussie et d’un «réchauffem­ent entre les

deux hommes» (l’agence en ligne RT cite entre autres l’ex-président Mikhaïl Gorbatchev, qui s’en réjouit) tandis qu’à New York et à Washington, les grands médias estiment que le président russe «a obtenu tout ce qu’il voulait» de son homologue américain (Masha Gessen dans le New York Times ; plusieurs autres commentair­es allant dans le même sens).

Qu’on en juge: le supposé «cessez-le-feu» dans le sud-ouest de la Syrie, conclu par Poutine et Trump (à l’initiative du Russe), au mieux ne fera que conforter les positions du régime de Bachar al-Assad (soutenu par la Russie). Au pire, ce n’est qu’une déclaratio­n sans effet sur le terrain, mais diplomatiq­uement utile à Moscou.

Sur la question des incursions informatiq­ues russes, et de la cybersécur­ité, on a eu droit à un savoureux numéro trumpien sur l’air de «Deux fois je l’ai brassé sur la question; Poutine m’a assuré que c’était faux, que ce n’était pas la Russie; pour moi la question est donc close.» Résultat de la discussion: «Nous avons parlé, Poutine et moi, de former un comité sécuritair­e commun et inviolable, qui préviendra­it tout sabotage d’élections à l’avenir.»

Moment suprême, où la vanité et la naïveté de l’un et le calcul et la flatterie de l’autre se conjuguent de façon optimale. On croit rêver… mais ce n’est pas une blague !

Pas étonnant que, durant ce G20 de Hambourg, les États-Unis se soient retrouvés isolés sur des sujets comme le libre commerce et la lutte contre les changement­s climatique­s. Et que les Européens soient enfin sortis de leur réserve, pour affronter désormais Washington à visière découverte. Et pour commencer à s’assumer… indépendam­ment de cet oncle Sam devenu fou.

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