La vanité de l’oncle Sam. Une chronique de François Brousseau.
Tenter de comprendre l’actuel président des États-Unis, ou de trouver une logique dans sa politique, n’est pas chose aisée. Après bientôt six mois de Donald Trump à la Maison-Blanche, c’est l’idée même de cohérence ou de cohésion dans l’action politique qui est remise en question.
Défi majeur pour l’analyste politique, qui cherche à comprendre les motivations des acteurs en se fondant sur une présomption de rationalité, de constance minimale des principes, avec un certain rapport entre ce qui est dit et ce qui est fait, etc.
Rien de tel chez celui-là… On répète que Donald Trump est le plus grand menteur jamais vu en politique, du moins en régime démocratique moderne. Mais ce n’est pas qu’un menteur : ses propos et prises de position relèvent également, dans une certaine mesure, de l’aléatoire.
Il y a une grande part de hasard dans ce qui sort de la bouche du président américain, à tel ou tel moment. Cela explique la nervosité de certains de ses conseillers (ou des éléments de l’appareil d’État) qui fonctionnent encore — ou voudraient encore fonctionner — selon les « anciens» critères… et qui pensent que «malgré Trump», malgré le tourbillon de ses caprices et improvisations, une certaine continuité peut malgré tout émerger de cette présidence, du moins dans certains domaines.
Cette nervosité — sur l’air de: « Que va-t-il
nous sortir encore?» — était particulièrement marquée à la veille de la fameuse rencontre de vendredi, au G20 de Hambourg, entre M. Trump et son homologue russe, Vladimir Poutine.
Une des questions que bien des gens se posaient: le grand manitou du Kremlin allait-il
«rouler dans la farine» son interlocuteur, en le flattant habilement dans le sens du poil, tout en obtenant de lui des déclarations, des prises de positions qui le renforceraient, lui Poutine, que ce soit en Syrie, en Ukraine ou face aux accusations de piratage informatique ?
(Étant bien entendu que les déclarations de Donald Trump valent ce qu’elles valent, qu’elles sont réversibles, et que par ailleurs, au Congrès et au FBI, l’enquête sur la Russie et ses incursions dans la politique américaine poursuit son chemin… indépendamment de ce que peut dire le président.)
Tout de même, sur cette rencontre hautement médiatisée, les commentaires, aux ÉtatsUnis comme en Russie, semblent converger: c’est «mission accomplie» pour Vladimir Poutine ! Il l’a roulé dans la farine… et bien frit.
La presse russe parle suavement d’une rencontre réussie et d’un «réchauffement entre les
deux hommes» (l’agence en ligne RT cite entre autres l’ex-président Mikhaïl Gorbatchev, qui s’en réjouit) tandis qu’à New York et à Washington, les grands médias estiment que le président russe «a obtenu tout ce qu’il voulait» de son homologue américain (Masha Gessen dans le New York Times ; plusieurs autres commentaires allant dans le même sens).
Qu’on en juge: le supposé «cessez-le-feu» dans le sud-ouest de la Syrie, conclu par Poutine et Trump (à l’initiative du Russe), au mieux ne fera que conforter les positions du régime de Bachar al-Assad (soutenu par la Russie). Au pire, ce n’est qu’une déclaration sans effet sur le terrain, mais diplomatiquement utile à Moscou.
Sur la question des incursions informatiques russes, et de la cybersécurité, on a eu droit à un savoureux numéro trumpien sur l’air de «Deux fois je l’ai brassé sur la question; Poutine m’a assuré que c’était faux, que ce n’était pas la Russie; pour moi la question est donc close.» Résultat de la discussion: «Nous avons parlé, Poutine et moi, de former un comité sécuritaire commun et inviolable, qui préviendrait tout sabotage d’élections à l’avenir.»
Moment suprême, où la vanité et la naïveté de l’un et le calcul et la flatterie de l’autre se conjuguent de façon optimale. On croit rêver… mais ce n’est pas une blague !
Pas étonnant que, durant ce G20 de Hambourg, les États-Unis se soient retrouvés isolés sur des sujets comme le libre commerce et la lutte contre les changements climatiques. Et que les Européens soient enfin sortis de leur réserve, pour affronter désormais Washington à visière découverte. Et pour commencer à s’assumer… indépendamment de cet oncle Sam devenu fou.