Le Devoir

Série Geeks. Récolter les perles de la nostalgie des jeux vidéo.

La passion pour le jeu vidéo vintage ne connaît pas de limite pour Dominic Bourret

- MARTIN BLAIS

vous propose, cet été, le deuxième d’une série d’articles sur les geeks d’aujourd’hui, ces mordus dont la passion pour les pixels, les technologi­es du Web, la culture populaire ou les passe-temps en tout genre se déclinent de mille façons. Aujourd’hui, rencontre avec le collection­neur et blogueur Dominic Bourret, alias Papa cassette, dont la passion pour les jeux vidéo rétro s’est transformé­e en entreprise fructueuse.

C’est dans un soussol de Saint-Joseph-de-Beauce, dans les années 1980, que tout a commencé pour Dominic Bourret. Sa grand-mère s’est procuré des consoles de jeux vidéo pour distraire les enfants lors des veillées. «Ma grand-mère est la “gameuse”, dans la famille!» soutient-il. La «cave» est devenue un antre du jeu pour Dominic.

Il est d’abord tombé sous le charme de son Atari 2600, ovni plaqué bois au look rudimentai­re qui a connu son lot de classiques. Le véritable coup de foudre est survenu plus tard, lorsqu’elle a acheté le Nintendo Entertainm­ent System (NES). L’expérience, marquante, s’est ensuite transporté­e chez lui. « Mes parents m’ont acheté un NES, un jour, après tout le monde, et je me disais: “C’est à moi, je joue à Mario chez moi, je peux jouer toute la nuit.” Je capotais!»

Et la console l’a toujours suivi, survivant au cycle des génération­s technologi­ques, jamais remplacée par les suivantes, plus performant­es. «J’ai passé beaucoup de temps sur cette console, elle m’est restée. Je ne l’ai jamais vendue, alors que mon SNES [Super Nintendo Entertainm­ent System, successeur du NES], je l’ai vendu. Mon NES m’a suivi au cégep, à l’université. […] J’ai tout le temps aimé ça, moi, je suis très nostalgiqu­e de mon enfance», raconte le collection­neur de 37 ans.

Le début d’un projet

Les jeux vidéo, particuliè­rement les «rétro», ceux des premières consoles, n’ont jamais cessé d’exercer leur attrait sur Dominic, qui a continué de les découvrir, «par pur plaisir», au fil du temps. Vers 2010, il a décidé d’en faire un véritable projet. «Je me suis demandé: est-ce qu’il y a d’autres gens que ça intéresse? J’ai découvert le forum de discussion du Club de collection­neurs de jeux vidéo du Québec. Ils font des réunions de passionnés, quatre fois par année. Je suis allé là, j’ai fait des rencontres.

Et j’ai voulu exister [dans ce milieu] .»

Pour cela, il lui fallait un nom. «Quand je cherchais à avoir une présence sur Internet, je voulais me donner un nom quelconque. Au départ, je pensais faire un méga-inventaire en ligne de tous les magasins qui vendent des jeux rétro au Québec. Finalement, je suis allé du côté du blogue.»

Ce qui est resté, c’est le pseudonyme Papa cassette. Papa parce qu’alors jeune père d’un garçon, ayant le désir d’instruire le public, d’expliquer cet univers du «retrogamin­g». Cassette pour consacrer ce terme unique au Québec, alors que le reste de la francophon­ie utilise «cartouche» pour parler des boîtiers de plastique contenant les puces permettant de jouer. Dominic, designer graphique de profession, savait qu’il venait de trouver un nom accrocheur et facile à mémoriser. «C’est un bon nom!»

Une collection complète

Encore aujourd’hui, son bon vieux NES a sa place dans le salon lumineux de sa maison du quartier Sainte-Marie, à Montréal, accompagné de plusieurs nouvelles machines parues au cours des quatre dernières décennies. Mais ce qui retient l’attention, c’est la collection de près de 700 cassettes de NES qui couvre le mur derrière sa télévision, classées en ordre alphabétiq­ue.

On y retrouve de tout, des grands classiques aux plus obscures perles. «Oui, je joue [aux jeux que j’achète], je suis un gamer avant tout. » De tous ceux qu’il a essayés, Castlevani­a 3 (1989), qu’il a reçu à Noël, enfant, demeure au sommet du palmarès. «C’est mon jeu préféré, pour la nostalgie et parce qu’il est l’emblème de cette série que j’aime tant. »

«Je ne collection­ne pas seulement pour avoir des bibelots, nuance-t-il. J’utilise mes jeux. En fait, pour toutes mes autres consoles, je joue à ces jeux-là, mais pour le NES, je les veux tous et je ne jouerai pas à tout parce qu’il y a plein de merde!»

C’est que Dominic vient d’accomplir son objectif de compléter le «full set NES», c’est-à-dire l’exploit de posséder tous les jeux de cette console vendue en Amérique du Nord pendant sa durée de vie (de son lancement sur le continent en 1985, deux ans après sa parution au Japon, jusqu’à la fin de sa production en 1995). En fait, il lui en manque un seul, Stadium Events, extrêmemen­t rare puisque rappelé des rayons rapidement après sa mise en vente. On l’évalue aujourd’hui entre… 15 000 et 20 000 $. Le plus précieux de son ensemble ? Little Samson, un jeu de plateforme­s paru en 1992 qu’il a payé 1300$. Il s’agit tout de même d’une aubaine puisqu’il se vend habituelle­ment pour 1800$, selon Dominic.

Surtout, c’est un des bons jeux de son «full set». Car la console a connu des dizaines de classiques mémorables, certes, mais aussi quantité de navets et fiascos. Certains développeu­rs tiers (autres que Nintendo) ont acquis la réputation de pondre des titres en deux temps, trois mouvements, avec un minimum d’efforts et de main-d’oeuvre, compte tenu de la facilité relative de créer des jeux pour cette console bien moins complexe que les machines très puissantes d’aujourd’hui. Ces mauvais jeux se vendaient pourtant au même prix que les autres, à 40, 50 ou 60$ et plus à l’époque, sans possibilit­és de mises à jour ou correctifs, faute d’Internet…

Simples, tout simples

Malgré ça, qu’ils soient sur NES, Atari, Intellivis­ion, Colecovisi­on ou autre, les jeux rétro ont sans conteste l’avantage pour lui. «Ce que j’aime làdedans, c’est la simplicité. Les jeux rétro, j’aime ça, c’est simple, le jeu part sans télécharge­ment, mise à jour ou autre “gogosse” comme ça. […] Et j’aime l’objet, je les trouve beaux.» Des centaines de boîtiers de présentati­on cartonnés ont leur place dans un meuble vitré (rétro lui aussi, vestige d’un Zellers) de son salon.

Au total, Dominic estime avoir entre 1500 et 2000 jeux, identifiés et répertorié­s dans divers classeurs Excel. Il évalue sa collection à 30 000$, bien qu’il l’ait payée beaucoup moins cher à force de chercher ou d’acheter en gros. Si ses jeux sont pour l’instant bien rangés à la maison, un jour viendra où il devra se retourner dans le sous-sol chez ses parents cette fois, pour y ranger de nouvelles boîtes!

Faire aller ses contacts

Quels sont les jeux les plus rares du NES? «Certains sont parus alors que le SNES existait déjà [dès 1990], ce qu’on appelle des “late releases” [sorties tardives], et ils valent cher. » D’autres sont parus sur les deux génération­s. Ces versions NES, moins avancées et moins vendues parce que le public commençait à se procurer des SNES, sont devenues précieuses. «Les versions poches valent plus cher ! »

C’est surtout grâce aux contacts entre collection­neurs et amateurs que Papa cassette a pu bâtir sa collection. «Je fais de moins en moins la tournée des marchés aux puces ou des ventes de garage. Je le faisais avant, mais maintenant, il y a tellement de monde qui le fait que c’est difficile [de faire des trouvaille­s].»

Les chasseurs de jeux rétro sont certaineme­nt plus nombreux de nos jours que lorsqu’il a amorcé sa collection, il y a quelques années, dit-il. Certaines boutiques spécialisé­es demeurent des lieux incontourn­ables, de sorte que la route vers des événements entre joueurs ou vers la maison de ses parents sur la RiveSud est forcément précédée d’un arrêt dans ces magasins.

Acheter et vendre

À force d’acheter, il a décidé de vendre. «Il y a un mégamarché qui ne fait que fluctuer sans arrêt. Tout le monde se lance làdedans, même les gens qui n’aiment pas les jeux vidéo, parce qu’il y a de l’argent à faire. » Lui-même ne recherche pas le profit à tout prix, mais comme la collection peut rapidement devenir un «gouffre financier» (et emplir une maison entière), cette avenue s’est imposée.

Peu de temps après son lancement, son blogue lui a ouvert des portes. Il a rencontré Bruno Georget, chroniqueu­r, avec qui il a lancé le balado Rétro Nouveau. Puis il a greffé à son site une boutique en ligne rapidement devenue populaire dans le milieu. Il a organisé des soirées pour collection­neurs, leur donnant l’occasion de se rencontrer ou de transiger.

De fil en aiguille, Dominic s’est retrouvé copropriét­aire d’Arcade MTL, bar de la rue Saint-Denis à Montréal, ouvert au printemps 2016. La borne de jeux vidéo scintillan­te et tapageuse a finalement triomphé de ce local du Quartier latin qui a connu de nombreuses identités au cours des dernières années. Des dizaines de machines d’époques et de styles différents, toutes rétro, s’alignent sur les murs, chacune accessible gratuiteme­nt moyennant un coût d’entrée au bar. L’équipe a trouvé tous les types de bornes au Québec et en assure seule l’entretien, sur place.

Les joies du passé

Le nostalgiqu­e ne s’en cache pas: «Ici, on vend de la nostalgie.» «Mais ce n’est pas un endroit pour gamers, et c’est ce qui fait notre succès. Les gens viennent essayer l’expérience. » Un an plus tard, «Papa» qualifie sans hésiter l’endroit de succès.

Car la nostalgie a la cote dans le domaine vidéo ludique, comme dans les autres sphères du divertisse­ment. «Certains viennent ici et on les entend dire : “Wow, le NES, le Nintendo 64!” Pour moi, c’est du quotidien, mais les gens reviennent vers ça. Tout le monde se demande si la mode du rétro va s’essouffler; à ce jour, ça ne fait que s’amplifier », croit Dominic.

Ça, Nintendo le sait. L’entreprise vient d’annoncer la sortie du SNES Classic, version miniaturis­ée de sa console à succès mise sur le marché avec 21 jeux bien aimés. Après le succès retentissa­nt du NES Classic l’an dernier (vendu à plus de deux millions d’unités, avant qu’on stoppe la production), l’engouement est encore une fois au rendez-vous.

«Il y a un mégamarché qui ne fait que fluctuer sans arrêt. Tout le monde se lance là-dedans, même les gens qui » n’aiment pas les jeux vidéo, parce qu’il y a de l’argent à faire.

Une affaire de famille

Entre ses projets de collection­neur, de copropriét­aire de bar et son emploi quotidien de designer graphique, Papa cassette ne s’en fait pas pour sa petite famille. « Demain matin, si j’ai des problèmes, je peux vendre ma collection et faire de l’argent », affirme-t-il. «Ma blonde [avec qui il partage sa vie depuis 13 ans et mère de leurs deux garçons] m’a toujours encouragé et je garde un équilibre dans mes affaires.» Elle travaille même un soir par semaine au bar. Dominic, lui, accomplit la plus grande partie de son travail à distance.

La passion transmise par sa grand-mère deviendra peutêtre une affaire de famille, espère-t-il. «Mon plus vieux est zéro intéressé par tous les jeux que je possède. Lui, il aime les jeux de sport, et moi, je ne veux rien savoir de ça. Mais mon plus jeune a de l’intérêt, il aime regarder les pochettes… »

«J’ai peut-être de la relève!»

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PHOTOS GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Une collection de près de 700 cassettes de NES, classées en ordre alphabétiq­ue, couvre un mur du salon du passionné des jeux vidéo surnommé Papa cassette.
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Dominic s’est retrouvé copropriét­aire d’Arcade MTL, bar de la rue Saint-Denis à Montréal, ouvert au printemps 2016.

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