Le Devoir

D’un côté le G19, de l’autre Donald Trump

Le sommet du G20 qui vient de se clore à Hambourg montre la fracture entre le président américain et ses alliés

- ISABELLE HANNE à New York

Climat, commerce internatio­nal et même protocole: les États-Unis étaient plus que jamais isolés lors du sommet annuel des 20 plus grandes économies du monde, qui s’est tenu vendredi et samedi dans la ville allemande.

Comme on n’est jamais mieux servi que par soimême, Donald Trump a déroulé, dimanche matin sur Twitter, son bilan du G20 de Hambourg: « Un grand succès pour les États-Unis — [j’ai] expliqué que les États-Unis devaient réparer les nombreux mauvais accords qui ont été passés. Ce sera fait!»

Pourtant, ce sommet annuel du groupe des 20 plus grandes économies de la planète (19 pays, de l’Arabie saoudite à la Turquie en passant par la Chine et le Canada, plus l’Union européenne), qui se tenait vendredi et samedi à Hambourg, a mis à nu le fossé qui sépare les États-Unis de Trump du reste du monde. Les divergence­s étaient visibles entre Washington et ses partenaire­s, sur des questions aussi vastes et prégnantes que le changement climatique ou le commerce internatio­nal. Ce dimanche, la presse américaine insiste sur « l’ampleur des désaccords» au G20, où «un gouffre s’est ouvert entre les États-Unis et le reste du monde » (Washington Post), où «Donald Trump s’est illustré en [leader] nationalis­te, unilatéral­iste et protection­niste », «s’aliénant des alliés et faisant ressembler les États-Unis à une île privée » (New York Times).

«Il y a eu peu d’éléments rassurants dans ce G20 pour ceux qui auraient voulu une approche plus traditionn­elle du gouverneme­nt américain, notamment sur la question du climat ou du commerce internatio­nal, note Ian Lesser, viceprésid­ent du German Marshall Fund. Une chose est claire: les États-Unis et leurs alliés ne sont pas sur la même longueur d’onde. »

Climat

Ce dernier G20 souligne une érosion notable du leadership américain, longtemps maître de l’ordre du jour de ces sommets depuis leur création en 2008. Les observateu­rs, experts et ONG parlent désormais sans détour de «G19» pour décrire le pas de côté des États-Unis. Une appellatio­n que tempère Ian Lesser: «Un G20 sans les États-Unis n’aurait plus beaucoup de sens.» Un isolement que ne cache même pas le communiqué final du G20, normalemen­t plus petit dénominate­ur commun des puissances participan­tes.

«Nous prenons note de la décision des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’Accord de Paris», affirme le texte, qui indique que les États-Unis vont « immédiatem­ent cesser » la mise en oeuvre des engagement­s pris par Barack Obama en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Un paragraphe plus loin, le communiqué souligne le front commun formé par les autres puissances sur la question climatique, précisant que, pour leurs dirigeants, « l’Accord de Paris est irréversib­le». Ils s’accordent même, grâce au « Climate and Energy Action Plan», sur une liste d’étapes dans la transition vers une énergie propre.

Le gouverneme­nt Trump s’est également distingué en insistant sur la défense du droit à l’utilisatio­n des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) les plus polluantes, et dont l’extraction et la combustion contribuen­t au réchauffem­ent mondial. Le texte du communiqué final indique en effet que les États-Unis vont aider d’autres pays dans le monde à «avoir accès à des énergies fossiles et à les utiliser ». De manière «plus propre», certes, mais totalement contradict­oire à l’objectif de l’Accord de Paris — atteindre une économie moins dépendante au carbone.

Cette question a suscité de vifs débats, l’Accord de Paris reposant sur la bonne volonté des États à respecter leurs engagement­s en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. L’hôte du sommet, la chancelièr­e allemande, Angela Merkel, ne s’en est pas cachée, indiquant que les discussion­s avaient été par moments «difficiles», et qualifiant la position américaine sur ce sujet de «regrettabl­e».

Commerce internatio­nal

Sur le commerce mondial, notamment entre pays développés et puissances émergentes (la raison d’être initiale du G20), Trump a là encore joué cavalier seul. Et rendu la discussion conflictue­lle, après ses critiques contre l’Organisati­on mondiale du commerce et les excédents commerciau­x de certains pays. En toute cohérence avec son protection­nisme revendiqué, son fameux slogan « America First », et ses critiques réitérées du multilatér­alisme tant diplomatiq­ue qu’économique. Voir tous ces «bad deals» dénoncés par le président américain, ou les nombreuses réunions bilatérale­s menées par Trump.

Et notamment sa toute première rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, qui a en partie éclipsé le sommet lui-même. Évoquant sur Twitter ce dimanche matin les accusation­s d’ingérence russe dans l’élection présidenti­elle américaine de 2016, Trump a semblé prêter plus de crédit à Poutine qu’aux services de renseignem­ents américains : «J’ai fermement interrogé le président Poutine à deux reprises sur son interventi­on dans notre élection, a affirmé Donald Trump. Il l’a catégoriqu­ement niée. » Le président américain assure même vouloir créer une entité de lutte contre le cyberespio­nnage… avec la Russie.

Malgré son isolement au G20, Washington a réussi à infléchir notablemen­t la rédaction du communiqué: « Nous conservero­ns des marchés ouverts tout en notant l’importance d’un commerce réciproque et mutuelleme­nt avantageux et d’un cadre d’investisse­ment et du principe de nondiscrim­ination. » Insistant, comme le veut la tradition, sur la lutte contre le protection­nisme, le G20 reconnaît pour la première fois le droit des pays victimes de pratiques de dumping à recourir à «des instrument­s légitimes de défense commercial­e ». «Personne ne souhaite que ces sommets soient vus comme un désastre, il y a toujours des compromis qui sont faits, note Ian Lesser. Mais cela montre bien qu’il y a des approches philosophi­ques profondéme­nt différente­s. Le fossé n’a jamais été aussi grand, notamment entre les États-Unis de Trump et l’Europe.»

Faux pas

Dans cet esprit, Donald Trump a également remporté une victoire sur la question du commerce de l’acier. Le texte du communiqué final du G20 évoque en effet la nécessité de réduire les surcapacit­és dans ce secteur, après les menaces brandies par Washington d’imposer des mesures protection­nistes contre la Chine et l’Union européenne.

Le président américain s’est, enfin, distingué par un faux pas protocolai­re largement commenté. Lors d’une session de travail des chefs d’État et de gouverneme­nt sur le partenaria­t avec l’Afrique, sa conseillèr­e et fille, Ivanka Trump, a remplacé son père, qui s’éclipsait pour des réunions parallèles, et a pris place entre la première ministre Theresa May et le président chinois, Xi Jinping.

«Nous prenons note de la décision des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’Accord de Paris»

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AXEL HEIMKEN ASSOCIATED PRESS Des manifestat­ions contre le sommet ont secoué Hambourg durant tout le week-end.

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