À la chasse aux fausses informations
Un chercheur italien a passé au peigne fin 376 millions de messages sur Facebook
Les informations infondées pullulent sur les réseaux sociaux. Les chercheurs en informatique sont de plus en plus nombreux à les étudier. Rencontre avec l’un d’entre eux à Venise.
«Fausses nouvelles» parci, «fake news» par-là : Walter Quattrociocchi les traque tous les jours avec cinq autres chercheurs italiens. Une tâche répétitive et vaine, comme Sisyphe avec son rocher sur la montagne ?
Il a beau être au pied d’un Everest de «postvérités» (le mot de l’année 2016, selon le dictionnaire Oxford), de «faits alternatifs», bref de «bons vieux mensonges», Quattrociocchi, 37 ans, ne baisse pas les bras.
De janvier 2010 à décembre 2015, son équipe (un informaticien comme lui, deux physiciens, un statisticien et une mathématicienne) a passé au peigne fin de ses algorithmes les messages dans la langue de Shakespeare de 376 millions d’utilisateurs de Facebook, le réseau social le plus puissant au monde. «Même si nous n’avons pas fait le tri parmi les vraies et les fausses nouvelles, cela nous a quand même pris neuf mois pour débroussailler le tout», dit-il dans un anglais chantant. Qu’at-il trouvé ? «Nous vivons dans une tour de Babel avec nos biais de confirmation, bien connus en psychologie sociale: nous privilégions les informations en harmonie avec nos opinions et nous nous détournons de celles les contredisant.»
C’est dans ce contexte que les fausses informations s’infiltrent dans les réseaux sociaux, utilisés tous les jours par plus de 2,5 milliards d’internautes.
Ces « infos » font tellement partie de l’écosystème médiatique qu’en 2013, le Forum économique mondial de Davos les a ajoutées à sa liste des plus grands dangers menaçant l’humanité au même titre que les changements climatiques et la montée des inégalités.
Quattrociocchi ne le dira pas, mais c’est en grande partie grâce à ses recherches que le WEF (World Economic Forum, fondé en 1971) a sonné l’alarme.
Chambres d’écho
«Pour mieux comprendre notre environnement communicationnel ségrégationniste, notre méthode de travail est basée sur les sciences sociales computationnelles, un domaine pluridisciplinaire combinant notamment les mathématiques, les statistiques, la sociologie et l’informatique», explique le chercheur italien.
Les traces numériques dans les médias sociaux permettent de confirmer ceci: «Nous vivons dans des chambres d’écho, qui sont non seulement des caisses de résonance renforçant nos propres croyances, mais de puissants relais à la mésinformation. Je préfère d’ailleurs ce mot à celui de fausse information», précise encore Quattrociocchi, en tirant goulûment sur sa cigarette.
Peu importe l’appellation, mal informer est un procédé vieux comme le monde et aucun algorithme, ni même les journalistes les plus chevronnés ne pourront en venir à bout, croit le chercheur rompu à la méthodologie scientifique.
Ainsi les initiatives de grands acteurs de la Toile pour débusquer les fausses informations en finançant notamment le «fact checking» sont un coup d’épée dans la grande mare des «fake news», craint Quattrociocchi.
Que faire, alors? « Vérifier les faits et informer l’internaute sur la fiabilité de ce qu’il lit, c’est bien, mais ce n’est pas assez. Il faut notamment l’écouter, comprendre pourquoi il se tourne vers des médias alternatifs, pourquoi il se méfie des sites d’information classiques qu’il juge partisans et corrompus. Il cherche une explication simple à la complexité du monde. Donc, pas trop d’effort cognitif.»
Quattrociocchi ne peut alors s’empêcher de citer l’exemple tellement galvaudé de Donald Trump et de ses tweets relayant des informations erronées. Dans son édition du 23 juin, le New York Times en a répertorié 100 depuis le 21 janvier.
Pour le chercheur italien, si le président américain ressemble à « un bébé quêtant l’attention de ses parents avec des mensonges, il a aussi réussi à capter celle des laissés-pourcompte de l’élite médiatique américaine pendant la campagne présidentielle».
De manière générale, les faits nous unissent de moins en moins. « Qu’est-ce qu’un fait ? » répétera Quattrociocchi tout au long de l’entrevue en citant Friedrich Nietzsche (1844-1900) pour qui «il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ».
Est-ce à dire que toutes les interprétations se valent ? Bien sûr que non, martèlera le chercheur passionné de philosophie. «Mais, encore une fois, nous ne sommes pas aussi rationnels que nous le croyons!» Pour preuve, il rappelle l’«affaire Cirenga », ce sénateur « fictif » qui lors des législatives italiennes de 2013 avait proposé une loi octroyant 134 milliards d’euros (plus de 10 % du PIB de la péninsule) afin d’aider les parlementaires à se trouver du travail en cas de défaite électorale. Citée dans la presse nationale, la proposition, approuvée par 257 voix et 165 abstentions, s’est répandue comme une traînée de poudre: elle fut partagée plus de 35 000 fois en moins d’un mois sur Facebook et est encore citée comme un exemple de corruption de la classe politique italienne.
On le voit, plus c’est gros mieux ça passe, surtout quand on veut croire dur comme fer à quelque chose… Pendant la campagne électorale, Quattrociocchi et son équipe ont d’ailleurs analysé les messages de trois millions d’utilisateurs italiens sur Facebook. Conclusion? Ceux qui ont suivi les sources d’information complotistes, comme l’«affaire Cirenga», étaient trois fois plus nombreux que ceux ayant suivi des sources d’information scientifiques, par exemple. «Encore une fois, chaque groupe a tendance à exclure tout ce qui n’est pas en cohérence avec sa vision du monde.»
Bref, rien de nouveau sous le soleil, car il n’y a jamais eu une «ère de la vérité» : « Notre cerveau tient surtout à sauvegarder son propre régime de vérité pour minimiser nos peurs.» On écoute donc rarement les points de vue contraires aux nôtres et on argumente rarement sur l’unique socle des faits, rappelle encore Quattrociocchi, qui a fait une partie de ses études de doctorat à l’Université Carleton d’Ottawa sous la direction du professeur Nicola Santoro. « C’était un étudiant brillant, dira celui-ci, enthousiaste et déjà passionné par la problématique des fausses nouvelles. »
Sus à la crédulité !
«Il faut s’attaquer à la crédulité des gens!» lance Quattrociocchi qui n’a jamais rencontré Tommasso Debenedetti, un des grands faussaires de la Toile. Ces dernières années, le quadragénaire italien a «tué», à travers ses tweets repris par certains médias, le pape François, le président syrien Bachar al-Assad, Mikhaïl Gorbatchev, qui dirigea l’URSS entre 1985 et 1991, l’écrivaine J. K. Rowling et tout récemment Svetlana Aleksiévitch, la prix Nobel biélorusse de littérature (2015). «Je voulais montrer la fragilité immense, incroyable du système médiatique mondial», devait-il expliquer dans un échange de courriels le 14 janvier 2013.
Walter Quattrociocchi ne porte pas de jugement sur le travail des journalistes. Il se contente de regarder la vérité en face: l’information tronquée serpente tous les jours un peu plus dans les champs médiatiques et le cercle des crédules ne cesse de grandir.
Nous vivons dans des chambres d’écho, qui sont des caisses de résonance renforçant nos propres croyances Walter Quattrociocchi