Le Devoir

Le lion marocain

- JEAN-BENOÎT NADEAU

Il y a des lions au Maroc. On les entend même qui rugissent dans le dernier classement des entreprise­s africaines du magazine Jeune Afrique. J’ai souvent fait allusion aux succès du Maroc, mais le moment est venu de vous montrer comment ce pays est devenu l’un des principaux piliers du monde francophon­e.

Parmi les 500 entreprise­s classées dans ce numéro hors série, 71 sont marocaines, soit 14%. C’est énorme pour un petit pays de 34 millions d’habitants (presque aussi populeux que le Canada), qui représente 2,8% de la population africaine et 4 % de son économie.

Le Maroc, qui tournait pratiqueme­nt le dos à l’Afrique il y a 15 ans, est devenu le premier investisse­ur francophon­e sur le continent et le deuxième grand investisse­ur africain après l’Afrique du Sud.

Ses compagnies d’assurances, de télécommun­ications, de constructi­on et de grande distributi­on sont partout. Les agences bancaires marocaines sont désormais deux fois plus nombreuses que les institutio­ns françaises. Royal Air Maroc a multiplié par cinq le nombre de routes desservant le continent. Le gouverneme­nt du Québec a donc d’excellente­s raisons d’y ouvrir prochainem­ent un nouveau Bureau du Québec.

Ce succès en cache un autre: le Maroc, pauvre en pétrole, s’est doté de l’une des économies les plus diversifié­es du continent. Le Maroc est le deuxième producteur automobile du continent, avec 346 000 voitures en 2016, après l’Afrique du Sud (600 000). Il sera le premier pays du continent à implanter un TGV, cette année. En fait, quand on considère le classement de Jeune Afrique, six des cinquante premières sociétés africaines dans le secteur des boissons sont marocaines. Dans les télécommun­ications, quatre. Dans la constructi­on, quinze! Et encore dix dans les matériaux de constructi­on.

La carte francophon­e

À la mort d’Hassan II en 1999, son fils Mohammed VI est arrivé avec une vision nouvelle. Alors que la France commençait à se désintéres­ser du continent, le Commandeur des croyants a plutôt vu le parti à en tirer — comme les Chinois. Il a donc lancé le pays à la redécouver­te du continent, à commencer par l’Afrique francophon­e.

Depuis, Mohammed VI a personnell­ement dirigé plusieurs dizaines de visites officielle­s — toujours de grosses délégation­s de 300, 400 personnes, dont une bonne moitié de gens d’affaires. Selon Jeune Afrique, la mayonnaise a pris en 2007-2008, lorsque les banques marocaines ont commencé à acquérir d’autres banques africaines, dont plusieurs filiales africaines de banques françaises. Les grandes entreprise­s marocaines ont suivi, et maintenant les PME.

Si le Maroc a mieux résisté que la plupart des pays d’Afrique du Nord au Printemps arabe de 2011, c’est en partie parce que son action économique est très antérieure. De 2000 à 2013, l’économie marocaine a crû à une moyenne de 5% par an, marquant un léger ralentisse­ment de la cadence depuis 2013 (moyenne de 3,6%), mais l’inflation est demeurée à un niveau comparable à celui du Canada et le taux de chômage n’a pas dépassé 10 %.

Ces succès ne sont pas de trop pour surmonter les difficulté­s considérab­les du pays, certes beaucoup plus riche que la moyenne africaine, mais très nettement sous le niveau de vie occidental.

Le système économique marocain ne vit pas que de bons coups. La SAMIR, numéro 1 du raffinage au Maroc et principale entreprise du pays, est en faillite. Le nord-est du pays, appelé le Rif, est en révolte depuis octobre 2016 après des décennies de négligence volontaire par le régime, qui l’a ainsi puni pour s’être révolté contre la Constituti­on imposée par Hassan II. Le gouverneme­nt tente aussi de réparer un système d’éducation en ruine qui hésite entre l’arabisatio­n et la francisati­on.

Mais le Maroc tient le coup et continue d’avancer. La pénétratio­n des intérêts marocains sur le continent suscite des protestati­ons au Sénégal et dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest, mais le Maroc se tire d’affaire parce qu’il joue très fort la carte de la diplomatie. Les missions très fréquentes du roi en Afrique visent à multiplier les contrats, mais surtout les accords commerciau­x dans un cadre de coopératio­n sud-sud qui demeure inusité dans le monde francophon­e.

Cette diplomatie économique est sans doute la très grande force du Maroc. Depuis longtemps, ses nombreux accords de coopératio­n avec l’Union européenne, qui le placent en situation de quasi-libre-échange, en font l’une des principale­s portes d’entrée du continent.

Le Maroc vient de réintégrer l’Union africaine après s’en être exclu lui-même il y a plus de 30 ans sur la question du Sahara occidental. Il tente actuelleme­nt de se faire accepter parmi la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec la tenue de la COP22 sur le climat en décembre 2016 à Marrakech, il ajoute désormais la diplomatie environnem­entale à son carquois.

On n’a pas fini d’entendre parler du Maroc.

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