Ziskakan: le rêve créole au festival Nuits d’Afrique
Jusqu’à quand pouvait-on délaisser le créole réunionnais? Jusqu’à quand pouvait-on ignorer, voire laisser dans la clandestinité, le maloya, qui est le porteur de son histoire? À cela, le groupe Ziskakan a répondu par une action vive aussi bien sur le plan musical que culturel. Presque quarante ans après ses débuts, le voici à nouveau pour l’une de ses rares visites au Québec: d’abord ce mardi à la place d’Youville dans le cadre du Festival d’été de Québec et le lendemain au Balattou pour les Nuits d’Afrique. Rencontre avec Gilbert Pounia, l’âme du groupe.
«Ziskakan signifie “jusqu’à quand”. Nous avons débuté autour d’un groupe de poètes, puis on a associé la musique pour entrer encore plus chez les gens. C’était et c’est toujours notre parole créole. On arrive à créer une langue et à vivre ensemble sur un petit bout de caillou de 2512 kilomètres carrés. C’est quelque chose de magnifique malgré l’histoire terrible des îles. J’espère que ça va durer encore longtemps. » Cette histoire cauchemardesque est celle des négriers et de l’esclavage.
Association culturelle
Vers 1977, Ziskakan naît donc sous la forme d’une association culturelle regroupant chercheurs, historiens, poètes et musiciens ayant pour but la valorisation de la culture réunionnaise. Avec le temps, des contacts furent entrepris avec les autres pays de l’océan Indien et des Antilles. Du côté de la Réunion, le groupe musical vole de ses propres ailes et crée une forme de chanson inspirée du maloya, la forme musicale traditionnelle créole.
Gilbert Pounia se rappelle: «Au début, c‘était plus dans la clandestinité. Les gens avaient peur de jouer ça en public et taper des tambours n’était pas considéré. Quand j’ai redécouvert la façon de les jouer et de les chanter, c’est devenu important pour moi parce qu’il y avait un geste poétique et aussi un geste politique de défiance. Le maloya, c’était la musique du “fé noir”, la musique de la nuit.»
Que reste-t-il de cette renaissance de la langue créole? «Ça se développe. Il y a toujours des scientifiques qui travaillent la zone Océan indien, la zone Caraïbe et ailleurs. À la Réunion, il y a maintenant une licence créole qui est mise en place pour les enseignants dans les écoles et on voit de plus en plus de publicitaires qui utilisent la langue avec la graphie. Les gens parlent plus facilement le créole, mais ce n’est pas encore devenu officiellement reconnu. Aux Seychelles, c’est la langue officielle, et à Maurice, les politiques, les ministres et le président de la République parlent en créole.»
En 2015, Ziskakan a fait paraître Romans pou Rico, un disque double très senti et composé de chansons qui retracent l’histoire du groupe. Dans une forme plus épurée qui évoque les débuts du groupe, on y met en chanson des oeuvres des poètes de l’océan Indien, on secoue le kayanm et on mise davantage sur le caractère acoustique. On évoque la misère des «gens de peu», on livre des hommages aux anciens, on retrace quelques traditions et on insiste sur la prise de conscience de l’identité créole brimée : «Prénom, le vent, prénom la terre», chante-t-on en guise de solution aux noms imposés par les maîtres de l’époque de l’esclavage.
«Dans cette question identitaire, il y a l’importance de dire que le monde devient créole, comme le disait Édouard Glissant », estime Gilbert Pounia. «On est mélangés, on a les métissages pas faciles, mais notre rêve est d’aller vers le monde. On ne parle pas d’un métissage édulcoré ou folklorisé, mais de quelque chose que l’on construit. J’adhère à ce mouvement de Glissant, c’est un très grand rêve. » Au Québec, Ziskakan l’incarnera en quintette. Dans sa musique, le ton est aussi parfois rêveur.