Le Devoir

On ne badine pas avec l’humour

- MANON DUMAIS Collaborat­rice Le Devoir

C’est à Cardiff, au pays de Galles, il y a une trentaine d’années, que des chercheurs en humour se sont rencontrés afin de discuter de leurs recherches. L’exercice ayant été concluant, s’est créé plus tard l’Internatio­nal Society for Humor Studies, à laquelle appartenai­ent d’abord des chercheurs britanniqu­es et américains. Aujourd’hui, ce sont des chercheurs provenant de tous les continents qui évoluent au sein de l’ISHS.

«Cela vient d’un besoin des chercheurs en humour qui se font un peu regarder de haut », explique Christelle Paré, chercheuse postdoctor­ale au Centre for Comedy Studies Research (Brunel University London). « Les “humor studies”, c’est extrêmemen­t large; ça touche la littératur­e, la psychologi­e, la sociologie, la linguistiq­ue, la philosophi­e… Au Québec, on est un peu en retard, surtout quand on considère ce qui se fait du côté britanniqu­e et du côté américain, où se fait le plus gros de la littératur­e scientifiq­ue. Sur certains points, la France est encore plus en retard que nous. Depuis la création de l’Observatoi­re de l’humour, en 2012, on se parle plus. »

Doctorante en science politique à l’UQAM et professeur­e à l’École nationale de l’humour, Julie Dufort ne cache pas qu’elle était elle-même pétrie de préjugés et très critique envers l’humour avant qu’elle y consacre ses études.

«Il n’y a aucune chaire de l’humour dans les université­s québécoise­s et c’est extrêmemen­t difficile dans le milieu universita­ire, reconnaît-elle. Spécialeme­nt en ce moment, parce que le financemen­t est difficile et qu’il faut avoir publié dans ce domaine-là. Même si beaucoup de chercheurs s’y intéressen­t, c’est encore très marginal. En termes institutio­nnels, les études sur l’humour ont été créées il y a une trentaine d’années, mais les grands philosophe­s, d’Aristote à Hobbes, et même Freud en psychanaly­se, ont traité d’humour. »

«C’est dans une volonté de décloisonn­ement, de favoriser le dialogue entre les chercheurs et les praticiens, d’apporter un éclairage signifiant sur la place publique et sur la fonction de l’humour dans la société, sur la scène comme dans la population, et de dépasser les controvers­es récurrente­s qu’a été créé l’Observatoi­re de l’humour», rappelle Louise Richer, directrice de l’École nationale de l’humour et détentrice d’une maîtrise sur l’humour en entreprise des HEC.

Une première au Québec

Forts de l’attrait du 375e anniversai­re de Montréal, des 35 ans du festival Juste pour rire, des 5 ans de l’Observatoi­re de l’humour (OH) et de la notoriété de Just for Laughs, les membres de l’OH ont posé leur candidatur­e pour recevoir le congrès de l’ISHS, lequel se tient une année sur deux en Amérique. Il s’agit de la deuxième fois que ce congrès se tient au Canada et de la première fois au Québec. Du coup, c’est la première fois que le congrès, dont la langue officielle est l’anglais, fera la part belle aux conférence­s et discussion­s en français. Faute de subvention, aucun interprète ne sera sur place.

«L’Observatoi­re de l’humour et l’Internatio­nal Society for Humor Studies ont la même mission: développer la connaissan­ce, diffuser les résultats et bâtir des ponts entre la pratique et le milieu de la recherche. Ce congrès est une belle démonstrat­ion de la variété et de la valeur des recherches en humour», avance Christelle Paré, membre du comité organisate­ur de l’ISHS-Montréal, avec JeanMarie Lafortune et Élias Rizkallah, professeur­s-chercheurs à l’UQAM, François Brouard, professeur à la Carleton University, Lucie Joubert, professeur­e à l’Université d’Ottawa, et Louise Richer.

«Je crois que s’il n’y avait pas eu la pratique avec l’École, ce lien entre la pratique et la recherche n’existerait pas, parce que cela prend tellement de temps aux chercheurs de s’institutio­nnaliser. Comment être pris au sérieux par les université­s? Comment se rejoindre avec autant de champs de discipline­s? Nous avons besoin de théories communes, d’un paradigme hégémoniqu­e», croit Julie Dufort.

«Les chercheurs ne sont pas dans une approche moralisatr­ice ni dans une optique de jugement, mais d’analyse, souligne Louise Richer. On est encore en démarche de valorisati­on des “humor studies”. Et pourtant, ce sont des corpus qui en disent beaucoup sur nous: dis-moi de quoi tu ris, je te dirai qui tu es. L’humour est une couleur d’expression omniprésen­te, un mécanisme fondamenta­l d’adaptation, de socialisat­ion, de cohésion, de dédramatis­ation, de relativisa­tion, de résilience. Sans humour, on se tirerait tous une balle dans la tête!»

Malgré tout, l’avenir semble prometteur, notamment grâce à la parution de l’Encycloped­ia of Humor Studies de Salvatore Attardo (Sage Publicatio­ns, 2014), membre phare de l’ISHS, et à la perception de l’humour qui tend à être plus positive. «Ce livre a beaucoup contribué à l’avancement des études, c’est un important point de repère dans la littératur­e scientifiq­ue, une bonne piste de départ pour les chercheurs. Comme Attardo l’explique, souvent on tient pour acquis ce qui fait partie du paysage quotidien et il n’y a pas plus grand acte de communicat­ion au quotidien que l’humour», conclut Christelle Paré.

29E CONGRÈS DE L’INTERNATIO­NAL SOCIETY FOR HUMOR STUDIES Du 10 au 14 juillet Pavillon J.-A.-DeSève, UQAM

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Christelle Paré, membre du comité organisate­ur de l’ISHS-Montréal, Louise Richer, directrice de l’École nationale de l’humour, et Julie Dufort, doctorante en science politique à l’UQAM et professeur­e à l’École nationale de l’humour
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Christelle Paré, membre du comité organisate­ur de l’ISHS-Montréal, Louise Richer, directrice de l’École nationale de l’humour, et Julie Dufort, doctorante en science politique à l’UQAM et professeur­e à l’École nationale de l’humour

Newspapers in French

Newspapers from Canada