Le Devoir

Un été sous les bombes

Le boulet de canon découvert à Québec était en réalité une bombe, cadeau du général Wolfe

- DAVE NOËL À Québec

Le boulet de canon de 1759 que l’on croyait avoir découvert au coeur du Vieux-Québec vendredi est en réalité une bombe potentiell­ement active. Le projectile lancé par les troupes du général Wolfe est désormais entre les mains des artificier­s des Forces armées canadienne­s afin d’être désamorcé.

L’artefact a été trouvé à plusieurs mètres

de profondeur sous la rue Hamel, à l’ombre des murs de l’Hôtel-Dieu de Québec. Après avoir extirpé le projectile pesant près de 200livres, les employés de la compagnie d’excavation Lafontaine ont fièrement posé à ses côtés. « Ils étaient peut-être inconscien­ts», lance à la blague l’archéologu­e Serge Rouleau de la ville de Québec en évoquant leur sourire. « Les chances sont faibles, mais les possibilit­és sont là quand même qu’il y ait une explosion. »

On ignore ce qui se serait produit si la bombe avait été perforée. «Un frottement qui peut entraîner un réchauffem­ent de la charge, c’est ça le danger, et non pas un élément extérieur comme une cigarette », souligne M. Rouleau. Lorsqu’elle aura été neutralisé­e, la bombe bicentenai­re rejoindra les collection­s de la ville de Québec.

Siège

La trouvaille survient à quelques jours seulement de la date anniversai­re de l’un des plus sinistres épisodes de la Conquête britanniqu­e. Le 12 juillet 1759, le corps expédition­naire du général Wolfe ouvre le feu sur la capitale de la Nouvelle-France à partir de la rive sud du SaintLaure­nt. Pendant près de deux mois, les assiégeant­s tirent sans relâche boulets et bombes. Le sifflement des projectile­s est si intense qu’il entraîne la surdité du curé de Québec, Félix Récher. Selon le journal de l’ecclésiast­ique, il y aurait eu jusqu’à 50 000 boulets et bombes qui seraient tombés dans l’enceinte de Québec, qui ne compte alors pas plus de 8000 habitants.

« La ville ne peut être dans un état plus pitoyable, à moins d’être rasée», écrit l’un des assiégés, Jérôme de Foligné. L’ingénieur britanniqu­e Patrick Mackellar, qui arpente les ruines de la capitale dans les jours qui suivent la reddition du 18 septembre 1759, est lui aussi frappé par l’ampleur des destructio­ns. «Il est difficile de trouver une maison qui n’a pas été endommagée par les boulets ou les obus et rares sont celles qui sont habitables sans quelque réparation. »

La capitale est labourée par les obus. C’est d’ailleurs par un trou creusé par une bombe dans le plancher de la chapelle des Ursulines que le général Montcalm est inhumé au lendemain de la bataille des plaines d’Abraham.

Montmorenc­y

Les archéologu­es ont trouvé des projectile­s un peu partout, jusqu’au faubourg Montmorenc­y à Beauport, où réside Yvon Legendre. Ce passionné d’histoire conserve deux boulets de 24livres trouvés sous une écurie démantelée il y a quelques années. L’un des projectile­s s’est visiblemen­t scindé en deux sous la force de l’impact. « Quand j’ai acheté la maison en 2001, il restait encore quelques patriarche­s, dans les 80 ans et plus. Une des premières choses qu’ils m’ont dites, c’est: “Tu vas trouver des boulets de canon dans ta cour!”»

Pour ce passionné d’histoire, la bombe découverte la semaine dernière sous la rue Hamel est d’abord un objet de mémoire. « Quand ils en trouvent un de même, je ne peux pas m’empêcher de me retremper dans l’ambiance des gens qui ont été assiégés. Il ne faut pas oublier que cette petite affaire-là, ce n’est pas juste un morceau de métal. »

Les boulets de M. Legendre ont vraisembla­blement été tirés par le Centurion, un vaisseau de la Royal Navy armé d’une soixantain­e de canons. Au matin du 31 juillet 1759, cet imposant navire jette l’ancre à proximité de la chute Montmorenc­y afin de bombarder le camp français de Beauport, où l’on retrouve les meilleures plages de débarqueme­nt du bassin de Québec.

«La bataille de la Montmorenc­y, on peut dire que c’est une guerre propre, parce que c’étaient des soldats contre des soldats, contrairem­ent à ce qui s’est passé en ville», souligne M. Legendre, qui a travaillé pendant plus de vingt ans comme archéologu­e. Ce jour-là, les assiégeant­s lancent des milliers de boulets sur le camp français à l’aide de leurs navires afin de faciliter le débarqueme­nt des troupes britanniqu­es. Les «habits rouges » y sont toutefois reçus par une pluie de balles et un violent orage qui met un terme à l’opération amphibie. Wolfe y perd près de 500 hommes, soit presque autant qu’à la bataille des plaines d’Abraham du 13 septembre. « Des vestiges et des sépultures pourraient bien subsister dans le périmètre du champ de bataille », soutient l’archéologu­e Serge Rouleau.

Jardinage

Le combat de la Montmorenc­y n’a guère laissé de traces au sein de la mémoire collective. La nature se charge toutefois de rappeler son souvenir aux habitants du quartier. « Quand il y a des éboulis, il y a des boulets qui se défont du cap », avance Yvon Legendre.

Autrefois, les boulets récupérés au bas de la falaise étaient peints en rouge par les habitants du quartier afin de délimiter les allées de leurs jardins. Ce patrimoine paysager se délite aujourd’hui au gré des ventes de garage. Pour une vingtaine de dollars, M. Legendre a ainsi récupéré un petit boulet de la Montmorenc­y au marché aux puces de Sainte-Foy.

Dans les voûtes de l’Hôtel-Dieu de Québec, les soeurs augustines ont conservé précieusem­ent deux bombes et une vingtaine de boulets. Sur l’une des poutres de leur monastère transformé en centre de ressourcem­ent de méditation, on peut toujours apercevoir la marque laissée par l’un des projectile­s, à un jet de pierre de la rue Hamel.

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EXCAVATION LAFONTAINE Ces travailleu­rs croyaient avoir découvert un boulet; il s’agissait plutôt d’une bombe.
 ?? DAVE NOËL LE DEVOIR ?? Yvon Legendre tient un boulet de canon utilisé lors de la bataille de Montmorenc­y.
DAVE NOËL LE DEVOIR Yvon Legendre tient un boulet de canon utilisé lors de la bataille de Montmorenc­y.

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