Le Devoir

Cimetière musulman Saint-Apollinair­e aux urnes

La petite municipali­té de Chaudière-Appalaches craint de faire les frais d’un large débat de société

- ISABELLE PORTER à Québec

On saura dimanche si le projet de cimetière musulman de Saint-Apollinair­e sera accepté ou non par référendum. Plongée malgré elle au coeur du délicat débat identitair­e, la petite ville espère maintenant qu’elle n’en sortira pas trop désunie ou étiquetée.

«Dans n’importe quelle petite communauté comme la nôtre, tu aurais eu le même débat»,a dit le maire Bernard Ouellet lors d’une rencontre à son bureau mardi. «J’ai reçu des courriels des quatre coins de la province là-dessus.»

Pour lui, le débat qui secoue la petite ville aurait dû se faire à une plus grande échelle. «Que voulez-vous, c’est nous qui sommes au bâton avec ça… »

Saint-Apollinair­e se trouve dans la région de Chaudière-Appalaches, à une trentaine de minutes de Québec. La consultati­on a ceci de particulie­r que seulement 47 personnes sur 6000 habitants pourront voter, puisque les anciennes règles encadrant les référendum­s municipaux ne permettent qu’aux voisins immédiats de se prononcer.

Ces dernières semaines, les camps du «Oui» et du «Non» se sont succédé dans le rang de la Prairie-Grillée pour rallier les électeurs. «On est rendus à sept visites, sans compter les fois où on n’était pas là», a raconté un résidant favorable au projet qui a préféré taire son nom. Pourquoi rester anonyme? « Parce que j’ai des voisins qui se sont prononcés contre, je ne veux pas brasser tout ça. […] Ma plus grande crainte, c’est pour Saint-Apollinair­e. C’est une belle municipali­té, et j’ai peur qu’on lui accole une étiquette. »

De l’autre côté du rang, un jeune homme nous a carrément envoyés paître. «Je ne veux rien savoir », a-t-il lancé sans préciser s’il ne voulait rien savoir du cimetière… ou des médias.

Rappelons que le projet vise à construire un cimetière musulman à côté d’un site funéraire multiconfe­ssionnel déjà existant près de l’autoroute. Il est piloté par la grande mosquée de Québec, celle-là même qui a été frappée par l’attentat du 31 janvier.

«On se bat contre le racisme», affirme sans ambages le promoteur Sylvain Roy du centre funéraire Harmonia. «Ils sont contre l’implantati­on d’une culture dans un milieu qu’ils veulent conserver 100% québécois.»

«Les gens ont véhiculé toutes sortes de faussetés, déplore-t-il. On a dit que les musulmans enterraien­t leurs morts sans cercueil, trop près de la surface du sol… Tout ça, c’est faux.»

Le voisin immédiat du complexe funéraire, M. Henri Baril, ne voit quant à lui aucun problème à cette cohabitati­on éventuelle. «Ça ne devrait déranger personne, on a tous droit à un enterremen­t respectueu­x», résume-t-il. «De toute façon, que ce soit des musulmans, des Anglais, des Italiens, des Russes, des catholique­s ou des non-catholique­s, on meurt tous un jour.»

Le «Non» pressenti

Sur place, la plupart des gens s’attendent à une victoire du «Non». « J’ai bien peur que ça ne passe pas, nous a dit le maire. Je serais agréableme­nt surpris si ça fonctionne.»

« Que voulez-vous, ça…» c’est nous qui sommes au bâton avec Bernard Ouellet, maire de Saint-Apollinair­e

Le propriétai­re d’Harmonia est du même avis. «Si les gens favorables vont voter, ça risque de passer, mais d’habitude, les gens qui sont contre vont plus voter. »

M. Baril, lui, croit que les opposants ne sont «pas si nombreux», mais se font «plus entendre». Il a aussi trouvé les partisans du «Non» très insistants lors de leur passage chez lui. «C’était presque du harcèlemen­t. Ça ne finissait plus. »

De son côté, la représenta­nte du comité du «Non», Sunny Létourneau, dit n’avoir aucune idée des résultats auxquels on doit s’attendre. Cette commerçant­e aussi a hâte qu’on passe à autre chose. «Ça crée un malaise terrible dans la municipali­té. Ça crée des divisions, des tensions familiales.»

Si certains membres de son groupe n’ont pas hésité à tenir des propos ouvertemen­t racistes dans le débat, Mme Létourneau se défend bien d’en être.

«On ne dit pas non aux musulmans, on dit non au projet actuel de la mosquée [de Québec]. » «Je ne veux pas qu’on associe le comité du “Non” au racisme, parce qu’il y en a seulement quelques-uns. On dit non à un changement de zonage, ce n’est pas juste pour une question religieuse.»

Elle-même dit qu’il ne faut pas «mettre tous les musulmans dans le même panier ». En entrevue, elle s’interroge sur l’expertise d’Harmonia à faire des enterremen­ts et dit craindre que les gens de la grande mosquée de Québec négligent l’entretien de leur cimetière une fois qu’il sera installé.

La grande mosquée de Québec devrait selon elle s’insérer dans un cimetière multiconfe­ssionnel comme à Saint-Augustin, où des familles ont acquis des lots dans un cimetière catholique. Elle a d’ailleurs pris part à l’inaugurati­on du carré musulman à Saint-Augustin.

Or c’est complèteme­nt différent, rétorque M. Roy. «La communauté musulmane veut un cimetière confession­nel, une terre sacrée où ils peuvent déposer leurs morts selon les principes du Coran.» Le porte-parole de la mosquée, Mohammed Kesri, a d’ailleurs été choqué d’entendre que l’initiative de Saint-Augustin constituai­t un cimetière musulman.

Quand on fait remarquer qu’il aurait pu miser sur un lieu plus habitué à la présence d’immigrants que Saint-Apollinair­e, M. Kesri rétorque qu’il n’avait pas le choix. « Ça fait 10 ans, 15 ans qu’on cherche. C’est la seule place où on a eu une offre!» dit-il.

Les résultats du référendum doivent être dévoilés dimanche vers 20 h. Les terrains de ce genre son si ardus à trouver, assure M. Kesri, que même si le «Non» l’emporte, il est prêt à continuer à défendre le projet à Saint-Apollinair­e. « Mais c’est sûr que si le 17 il y a un maire quelque part près de Québec qui nous dit que c’est possible d’établir un cimetière musulman ailleurs, ce sera avec plaisir ! »

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PHOTOS FRANCIS VACHON LE DEVOIR Sylvain Roy, du centre funéraire Harmonia, offre le terrain derrière lui pour la réalisatio­n du cimetière musulman espéré depuis longtemps par la grande mosquée de Québec.
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Voisin immédiat du complexe funéraire, Henri Baril ne voit aucun problème à une cohabitati­on éventuelle.
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Le maire Bernard Ouellet craint que le projet soit refusé par les citoyens dimanche.

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