Le Devoir

Un coroner trace un triste portrait d’isolement

La découverte d’une femme décédée, un mois après sa mort, illustre le phénomène navrant des personnes seules

- PIERRE SAINT-ARNAUD

Lorsque Francine Pratte est décédée d’une insuffisan­ce coronarien­ne aiguë dans son logement de Trois-Rivières vers la mioctobre 2015, il a fallu plus d’un mois avant que quelqu’un s’en rende compte.

Dans son rapport sur ce décès, rendu public mardi, le coroner Raynald Gauthier écrit que la dame de 65 ans «était isolée socialemen­t» et que «sa famille ne lui rendait pas visite et elle recevait un appel d’un de ses fils environ une fois par mois».

Le docteur Gauthier signale que le concierge de l’immeuble, qui y travaillai­t depuis cinq ans, ne connaissai­t même pas la victime.

Ce n’est que la forte odeur de putréfacti­on émanant du logement de l’immeuble appartenan­t à l’Office municipal d’habitation de Trois-Rivières qui a finalement amené les autorités à pénétrer à l’intérieur pour y faire le triste constat.

Le coroner Gauthier, qui a lui-même été appelé sur les lieux au moment de la découverte, raconte que le « corps présentait une couleur brun cuir et des signes de momificati­on».

Francine Pratte était reconnue pour prendre une médication quotidienn­ement et sa dosette indiquait que la dernière consommati­on avait eu lieu le 17 octobre. Or, ce n’est que le 20 novembre que son corps a été découvert.

«Il est navrant de constater que des personnes âgées, isolées socialemen­t et demeurant dans des immeubles de type office d’habitation municipale, peuvent décéder et manquer à l’appel durant des périodes aussi prolongées sans que personne ne puisse s’en inquiéter», se désole le coroner dans son rapport.

« Aujourd’hui, les gens ont 1,8 enfant par famille, ils n’en ont plus 10 comme jadis et la société nous demande de performer et d’aller un peu partout dans le monde, ce qui est parfait et correct, mais au détriment des relations humaines », souligne le directeur général du réseau FADOQ, Danis Prud’homme.

Recommanda­tion: appels automatisé­s

Le coroner Gauthier recommande à l’Office municipal d’habitation de TroisRiviè­res d’inciter les résidents âgés, seuls ou en condition d’autonomie réduite, à adhérer au programme Pair, un service d’appels quotidiens automatisé­s qui permet d’assurer que tout est normal.

Il fait également la même suggestion de sensibilis­ation au Regroupeme­nt des offices d’habitation du Québec.

«C’est une recommanda­tion valable si on est tout seul, estime M. Prud’homme. Il y a aussi des mécaniques comme des bracelets où on peut peser sur un bouton et ça déclenche une alerte. Il y a toutes sortes de technologi­es, mais ça demande des sous.»

Mais ce genre de solution a ses limites, fait-il valoir du même souf fle.

«Jusqu’à quel point peut-on contraindr­e et dire: parce que tu es seul, tu dois t’enregistre­r au programme Pair ? C’est beaucoup plus compliqué qu’on pourrait le croire. Une personne qui est autonome, si elle ne veut pas certaines choses, on ne peut pas les lui imposer», dit-il.

Au-delà de solutions externes, Danis Prud’homme prône l’encouragem­ent aux initiative­s individuel­les, tout en reconnaiss­ant qu’il y a là aussi des limites.

«On doit se questionne­r comme société à savoir si on continue à favoriser le bénévolat des personnes seules dans un premier temps. Est-ce qu’on les encourage à rester sur le marché du travail si elles le désirent? Et la réponse est souvent non, dans bien des cas. »

Au-delà de solutions externes, Danis Prud’homme prône l’encouragem­ent aux initiative­s individuel­les, tout en reconnaiss­ant qu’il y a là aussi des limites

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