Doit-on s’inquiéter de la légalisation du cannabis ?
Depuis que le gouvernement Trudeau a annoncé son intention d’aller de l’avant avec le projet de légalisation du cannabis, nous avons eu droit à plusieurs discours alarmistes, la grande majorité de ceux-ci se souciant principalement de la santé des jeunes.
Pourtant, normaliser l’existence sociale de ce produit par un encadrement législatif et réglementaire n’aura pas pour effet de le faire exister plus qu’il existe déjà. La légalisation le fera simplement exister en pleine lumière plutôt que de le laisser se déployer dans l’ombre. Il ne restera à espérer que les gouvernements provinciaux ne fassent pas de la vente de ce produit un commerce comme les autres en confiant sa responsabilité au privé.
L’inquiétude quant à une possible augmentation de la consommation est certainement légitime. Or, la légalisation est une occasion de se préoccuper enfin des personnes, jeunes ou non, qui en font effectivement usage.
N’oublions pas que selon les données de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues de 2015, c’est plus de 1 Canadien sur 10 âgé de 15 ans et plus qui a fait usage de cannabis au cours de la dernière année (15% chez les hommes et 10% chez les femmes). Que toutes ces personnes en viennent à devoir s’approvisionner auprès de réseaux illégaux qui n’ont que faire de la vulnérabilité ou de
l’âge de leur clientèle devrait suffire à centrer notre attention sur les bonnes questions.
Facteur de risque
La grande majorité des consommateurs ne développe pas de problèmes (seulement 3% des Canadiens de 15 ans et plus ont dit avoir vécu au moins un méfait causé par leur consommation de drogues illicites au cours des 12 derniers mois selon la même enquête). De plus, il est important de souligner que s’il existe un lien statistique entre l’usage de cannabis et la psychose ou la schizophrénie, il semble plutôt que la véritable cause soit une prédisposition qui ne se trouve pas chez tous les individus.
Le cannabis n’est pas un facteur causal, mais un facteur de risque. De manière générale, l’incidence de la psychose serait de 1 à 3% dans la population générale, alors que plus de 4 Canadiens sur 10 (précisément 42,5% selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes — santé mentale, 2012) ont déjà fait usage de cannabis au cours de leur vie… Nous aurions plutôt intérêt à développer un test pour dépister cette prédisposition et à rendre disponible de l’information de qualité pour que les individus puissent faire de véritables
choix éclairés. Les recettes de ce commerce devraient d’ailleurs servir à développer ce type d’initiative plutôt que de générer des profits pour quelconque acteur privé.
L’expérience positive ou non de l’usage d’une drogue dépend de trois principaux facteurs: l’individu, l’effet de la substance et le contexte d’utilisation. C’est ce qu’on appelle la loi de l’effet. Il n’est jamais question du dernier terme de cette «loi» dans le débat actuel, alors que c’est précisément celui-ci qui connaîtra le plus de changements avec la légalisation; les individus et la substance ne changeront pas.
La normalisation de l’usage du cannabis dans notre société a tout le potentiel nécessaire pour faire diminuer le nombre d’expériences négatives quant à cet usage, ce qu’on appelle les « bad trips ». Socialiser ce produit, c’est se donner les moyens de limiter les problèmes qu’il pourrait engendrer en définissant son mode d’emploi sécuritaire, comme c’est le cas pour l’alcool.
Dialogue social
En normalisant l’existence du cannabis dans notre société, nous créerons simplement les conditions de possibilité pour qu’un dialogue social sur l’usage de cette substance ait lieu. L’interdit engendre des non-dits, des secrets et des craintes liées à la peur d’être jugé et à la stigmatisation. Le lever rendra possible le partage des savoirs tacites développés par les utilisateurs au fil du temps par rapport à un usage responsable et intelligent.
En ce sens, interdire la marijuana aux 21 ans et moins serait le meilleur moyen de réduire la portée positive de la légalisation. Il y aurait ainsi un bassin de clients potentiels suffisamment grand pour que le marché noir survive sans difficulté. Le rapport Nolin avait bien saisi cet enjeu en recommandant 16 ans comme âge légal, mais 18 ans serait sans doute un âge légal plus consensuel.
Nous fonctionnerions alors comme nous le faisons avec l’alcool. Comme parent, j’aurai la responsabilité d’encadrer mes enfants dans leurs expériences précédant l’âge légal, si cette situation se présente. Comme société, nous aurons la responsabilité de soutenir et d’outiller les parents qui sentiraient le besoin de l’être.
La légalisation nous force à répondre aux questions qui demeuraient sans réponse avec la prohibition. Comme il y aura nécessairement des profits qui seront générés par ce commerce, utilisons-les pour financer des recherches qui combleront les lacunes de notre connaissance afin de prendre en charge le plus intelligemment possible ce produit psychotrope. Cela est certainement plus exigeant que la voie d’évitement qu’était la prohibition, mais cela est aussi infiniment plus responsable que de refuser d’affronter la réalité en face.