Le Devoir

Le Codex Populi, un cadeau de Grec

- MICHEL LESSARD Historien, Lévis

M onsieur le Maire Régis Labeaume,

J’ai été surpris de vous voir inaugurer le 3 juillet, jour anniversai­re de la fondation de Québec, dans les jardins de l’Hôtel de Ville, un monument commémoran­t la Conférence de Québec de 1864 menant à l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e de 1867.

J’ai été aussi très étonné d’apprendre que la sculpture retenue après concours s’intitulait Codex Populi. En fait, cette oeuvre d’art public bien en évidence au coeur de notre capitale nous a été offerte par le gouverneme­nt Trudeau comme cadeau du fédéral pour souligner les 150 ans de ce que certains appellent la Confédérat­ion canadienne.

Ce souvenir a nécessité des investisse­ments de 500 000$ des Canadiens, dont nousmêmes. Le descriptif du concours auquel la Ville de Québec a été partie prenante dès le départ demeure très explicite sur l’événement à souligner, sur le caractère symbolique attendu de la création originale et sur le site où logera le monument.

Terre sacrée

L’hôtel de ville de Québec occupe le terrain du collège des Jésuites, détruit en 1877 à coups d’explosifs parce qu’il était vétuste, disait-on. Ce monument d’un beau classicism­e français remontant au XVIIe siècle servait de baraquemen­t aux troupes d’occupation anglaises depuis la défaite de 1759, une terre sacrée hautement symbolique de l’éducation supérieure en Nouvelle-France par ceux qu’on désignait comme la cavalerie légère du pape. Étonnant choix de lieu pour rappeler un événement qui nous a bien mal servis à plusieurs égards.

Désigner cette oeuvre comme un codex populi tient d’un immense mensonge historique. Un «codex» est une compilatio­n de règles administra­tives et d’un art de vivre collectif. Le mot « populi » en latin évoque une participat­ion du peuple à son élaboratio­n. Or jamais, dans la préparatio­n et dans le document final de l’Acte de fondation du Canada moderne, le peuple québécois et le peuple canadien n’ont été consultés. Tout s’est fait derrière des portes closes où même la presse était exclue. Tout le monde a été mis devant un état de fait concocté à huis clos par la bourgeoisi­e d’occupation dans le souffle de la reine de l’Empire anglais.

Jamais le peuple souverain n’a donné son aval à cette Constituti­on imposée même si quelques Québécois dociles, crédules et mal éclairés sur les conséquenc­es participai­ent à l’entreprise de lourde mainmise sur notre nation par des conquérant­s armés.

L’esprit de 1867

Aujourd’hui, la Ville de Québec n’a pas un mot à dire sur ses littoraux et sur ses eaux, tout comme Lévis en face. Le fleuve et les activités portuaires sont sous le seul pouvoir de la reine du Dominion. Tous les grands monuments du Régime français qui affirmaien­t de façon ostentatoi­re la mère patrie sont partis en fumée, toujours à l’avantage des Anglais, ou ont été consciemme­nt démolis, sauf les institutio­ns religieuse­s qui servaient bien le social et l’éducation des enfants.

Le Vieux-Québec avec sa citadelle, les portes des remparts, le manège militaire et la cathédrale anglicane, qui a remplacé dès 1804 le collège des Récollets, appartienn­ent à l’architectu­re britanniqu­e et à la vision éclectique théâtrale bien victorienn­e de lord Dufferin. Le style Château fin victorien a été retenu pour des hôtels, des gares et l’hôtel de ville.

Le néoclassic­isme anglais triomphe dans le bureau de poste et la douane, deux bâtiments à coupoles dans la manière néoclassiq­ue anglaise, dominant le paysage dans le bassin de Québec. Exit la France.

La soi-disant Confédérat­ion fait également double emploi administra­tif dans plusieurs secteurs de l’économie et intervient de façon gênante dans le domaine des arts, de l’éducation et des communicat­ions, des secteurs exclusivem­ent réservés au Québec dans l’esprit de l’Acte de 1867 et envahis cavalièrem­ent par Ottawa.

Il est assez paradoxal que l’actuel maire de Québec ait démoli avec fracas il y a deux ans l’oeuvre intitulée Dialogue avec l’histoire à la place de Paris dans le quartier de place Royale, un cadeau de la Ville lumière, et qu’on glorifie aujourd’hui la Confédérat­ion imposée au coeur de la cité de Champlain.

Le maire aurait dû visiter les colonnes de Buren dans les jardins du Palais royal à Paris avant de mettre le bélier mécanique dans une oeuvre que les profession­nels du Centre de conservati­on du Québec recommanda­ient de restaurer et qui triomphait dans le quartier historique en conversati­on avec le buste de Louis XlV.

Ce gommage de l’héritage français au Québec éclatait également au début des années 1980 dans le projet de constructi­on du Musée de la civilisati­on. Le maire Jean Pelletier et le ministre Denis Vaugeois s’étaient entendus sur un site particulie­r au pied de la falaise qui s’ouvrait sur le vaste bassin de Québec, sur l’île d’Orléans et sur le lointain estuaire.

Trois mois avant sa mort, Pelletier livre une sorte de testament au journalist­e Gilbert Lavoie. Pour le maire libéral, son plus grand regret de carrière a été de céder à Brian Mulroney et à Robert Bourassa en permettant la constructi­on des terrasses du Vieux-Port, une barre de condominiu­ms qui venait bloquer la vue à l’institutio­n phare de notre histoire, le temple en hommage à notre âme de peuple. Pour gagner le concours, Moshe Safdie, l’auteur d’Habitat 67, avait prévu une oeuvre à clocher en forme de rampe et portant escalier, liant la basse ville besogneuse et commercial­e à la ville haute institutio­nnelle, aboutissan­t à l’Université Laval sur le cap. Et dans une deuxième phase, le célèbre architecte créait un vaste escalier sortant du Saint-Laurent, menant à un large parvis s’ouvrant sur le portail du musée. Le port de Québec a tué le concept gagnant !

Le port, plénipoten­tiaire par la constituti­on de 1867, n’avait aucune permission à demander ni aucune obligation d’informer. Des amis en ont profité, et servi une vision réductrice.

Canotiers

Dans votre aménagemen­t très récent de la place des Canotiers, Monsieur le Maire, la vue a été totalement fermée par un stationnem­ent à étages devant la porte même du musée. Exit l’escalier dans une ville de trente escaliers.

Safdie avait été séduit par ce concept qui montrait bien comment la civilisati­on bien française fondatrice du pays était venue d’Europe par le grand fleuve apporter les lumières de la connaissan­ce et de la religion.

Les nouvelles Casernes sur les remparts, un immense bâtiment du Régime français abandonné depuis des lunes, devraient devenir le chef-lieu des francophon­es d’Amérique et permettre à notre capitale nationale de jouer son statut internatio­nal en rayonnant et en invitant tout le monde inscrit dans notre génétique culturelle à passer dans nos murs. Mais il ne faut pas compter sur la collaborat­ion d’Ottawa pour affirmer notre véritable identité.

 ?? FRANCIS VACHON LE DEVOIR ?? Le Codex Populi mesure 23 mètres de haut. La création de l’artiste Ludovic Boney est la plus haute oeuvre d’art de Québec.
FRANCIS VACHON LE DEVOIR Le Codex Populi mesure 23 mètres de haut. La création de l’artiste Ludovic Boney est la plus haute oeuvre d’art de Québec.

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