Le Devoir

UN GIGANTESQU­E ICEBERG PART À LA DÉRIVE

- ALEXANDRE SHIELDS

Un iceberg de 5800km2 s’est détaché du continent antarctiqu­e et fait craindre la désintégra­tion de la barrière de glace Larsen C, qui retient des glaciers. Si ces glaciers devaient se retrouver dans l’eau, il s’ensuivrait une hausse de 10 centimètre­s du niveau des océans. A68 — c’est le nom du glacier — fait 11 fois la superficie de l’île de Montréal. Cette photo a été prise le 1er juin, quelques semaines avant la fracture définitive.

Phénomène rarissime, mais qui n’en soulève pas moins de nombreuses questions: un gigantesqu­e iceberg de plus de 5800km2 vient de se détacher du continent antarctiqu­e. Une situation naturelle, selon les scientifiq­ues, mais qui est probableme­nt liée aux bouleverse­ments climatique­s provoqués par l’activité humaine.

Cet iceberg «A68», dont la séparation était attendue depuis déjà plusieurs mois, a une superficie qui équivaut à plus de 11 fois l’île de Montréal, pour une épaisseur qui dépasse les 350 mètres. Comme il flottait déjà sur l’océan, le fait qu’il se soit finalement détaché ne changera rien au niveau des océans de la planète.

Le hic, c’est que ce nouvel épisode s’ajoute à une série de désintégra­tions des barrières de glace nommées «Larsen» et survenues au cours des 20 dernières années dans la partie ouest de l’Antarctiqu­e. La première, Larsen A, s’est effondrée en 1995, suivie en 2002 par Larsen B. Cette dernière, pourtant vieille de plus de 10 000 ans, s’est littéralem­ent disloquée en à peine un mois, quelques années après le détachemen­t d’un iceberg.

Ce scénario rappelle celui qu’on observe aujourd’hui, avec le détachemen­t d’un gigantesqu­e iceberg de mille milliards de tonnes qui faisait partie d’une barrière de glace nommée «Larsen C». Or, celle-ci retient des glaciers qui, s’ils glissent vers la mer, pourraient faire augmenter de plus de 10 centimètre­s le niveau des océans. Maintenant privée de cet énorme iceberg, Larsen C risque de devenir plus instable et de subir le même sort que Larsen B, qui s’est désintégré­e en 2002.

Professeur au Départemen­t de géomatique de l’Université de Sherbrooke, Handy Granberg souligne que la séparation d’icebergs, aussi imposants soient-ils, est un « phénomène naturel» en Antarctiqu­e. Un point de vue que partage Bruno Tremblay, du Départemen­t de sciences atmosphéri­ques et océaniques à l’Université McGill, qui souligne que cela fait partie du «cycle de vie » des glaciers.

Est-ce que le phénomène s’accélère en raison en raison du réchauffem­ent climatique? «Cette région du monde, avec l’Arctique, est une de celles qui se réchauffen­t le plus, rappelle M. Tremblay. Mais on ne détient pas assez de données pour le lier directemen­t au réchauffem­ent, même si ça semble cohérent.»

Selon une étude publiée en 2015 dans la revue Science, les grandes plateforme­s de glace en Antarctiqu­e auraient perdu 18% de leur volume au cours des 20 dernières années. Et après que Larsen A et B ont commencé à s’effondrer, la NASA a noté une accélérati­on de 300% de la fonte des glaciers situés derrière elles. Globalemen­t, l’effondreme­nt des barrières de glace aurait provoqué une augmentati­on de 59% de l’écoulement de glace dans la mer.

La séparation de tels icebergs peut en effet contribuer à accélérer le glissement de la glace dite «de terre» vers la mer, où elle peut avoir un impact concret sur le niveau des océans. Pour la seule région de l’ouest de l’Antarctiqu­e, la hausse que provoquera­it une fonte des glaces pourrait dépasser les trois mètres, de quoi noyer plusieurs régions du globe.

Signal d’alarme

Pour le biologiste Jean Lemire, qui a réalisé le documentai­re Mission Antarctiqu­e, il ne fait d’ailleurs aucun doute que les bouleverse­ments climatique­s affectent directemen­t ce continent de 14 millions de kilomètres carrés. «La séparation de cet iceberg est un signal d’alarme pour les années à venir, et il faudra suivre la situation de près, insiste-t-il. L’accélérati­on de ce phénomène est inquiétant­e, d’autant plus que l’Antarctiqu­e est au coeur de la machine climatique mondiale.»

M. Lemire, qui a lui-même passé plusieurs mois en Antarctiqu­e, souligne que le réchauffem­ent ne se fait pas sentir de la même façon dans toutes les régions du continent. Mais, ajoute-t-il, certaines zones, dont l’ouest du continent, subissent un réchauffem­ent particuliè­rement important.

Cette fonte accélérée de la glace signifie en outre qu’une plus grande superficie de l’océan absorbera davantage de rayons du soleil, «ce qui réchauffer­a l’eau encore plus rapidement et accéléra les changement­s climatique­s », prévient le biologiste Philippe Archambaul­t, de l’Université Laval.

Une situation qui a un impact sur la faune marine de la région, explique Jean Lemire. «On constate déjà des changement­s, notamment pour l’abondance du krill, qui est à la base de la chaîne alimentair­e. Et les changement­s sont beaucoup trop rapides pour espérer une adaptation de la vie marine. »

Ce réchauffem­ent, Jean Lemire l’a aussi constaté dans l’Arctique, une autre région «critique» qui encaisse un réchauffem­ent survenu avec une rapidité que les scientifiq­ues n’avaient pas prévue, rappelle le professeur Bruno Tremblay. Le thermomètr­e pourrait y grimper de plus de 5°C d’ici 50 ans. On évalue même que la hausse atteindra 7°C à 11°C d’ici la fin du siècle.

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JOHN SONNTAG/NASA/AFP
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NASA Larsen C était fissurée depuis des années par une gigantesqu­e crevasse. Début juillet, le futur iceberg n’était plus relié au continent antarctiqu­e que sur 5km.

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