Le Devoir

Zeitgeist Despacito. Qué calor !

Despacito. Qué calor !

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Twitter : @cherejoblo

On n’est pas maître de son coeur Marivaux

Céline peut aller se rhabiller en Gucci, finalement. Circulez, y’a rien à voir. Par contre, 2,5 milliards de clics pour dévorer des yeux une déesse caribéenne, ex-Miss Univers, qui ondule des courbes sur le tube de l’été, Despacito, «ça le fait» comme disent les cousins.

La chanson a propulsé cette semaine Luis Fonsi et Daddy Yankee au sommet de Spotify, une première pour des Latinos. Le vidéoclip, lui, tangue entre la «porno soft» et le telenovela sud-américain, sur rythmes tribaux issus du reggeaton dont la danse mime intentionn­ellement la copulation. Du 14 ans et plus bon pour les cours de zumba sur la plage d’un toutcompri­s.

Quant aux propos, ils sont la plupart du temps qualifiés de

«machistes». C’est le genre de musique pas tout à fait «explicite » que mon ado écoute sans écouter vraiment ce qui se dit, mais en y puisant l’énergie de la rébellion.

Et pour l’énergie, il y en a beaucoup dans Despacito. L’énergie du yang qui cherche son yin même s’il le fait «tout doucement », le sens de despacito (ito étant le diminutif qui adoucit les angles, comme dans amorsito). Pas besoin de parler deux mots d’espagnol pour comprendre où le latin

lover veut en venir. Une statue de la Vierge apparaît après dix secondes, avec la « putain » au loin, le sillon mammaire serti d’une croix en or. Priez pour eux, Seigneur. Devant la mer houleuse et l’écume indomptabl­e de ses pulsions, Fonsi lance

sa plainte sur quelques accords de guitare sensuels. « Ay ! Oh no. Oh no. Hey yeah ! »

Jusqu’ici, tout le monde comprend que le gars a déjà abdiqué dans toutes les langues ou que sa braguette est coincée. Ay !

Mais il va y aller despacito, tout doucement. C’est le grand jeu de la lente montée du désir. Et des images de Zuleyka Rivera, la Miss Univers en petite tenue, le hantent jusqu’à la transe.

Il «doit» danser avec elle ce soir. «Tengo que bailar contigo

hoy. » C’est même pas cousu de fil blanc ; ça ne tient qu’au fil invisible du fantasme. Y’a que les Latinos pour assumer leur kitsch à ce point.

Après 40 secondes, le mari a appuyé sur « Pause ». – Pus capable. – Mais tu ne sauras jamais la fin de l’histoire!» ai-je argué en vain. – À 3 min 12, elle se donne à lui. – Tu vas trop vite. C’est à 3 min 33 que leurs lèvres s’effleurent.

Juste pour lui faire regretter son snobisme culturel, je lui ai raconté que la déesse callipyge jetait plutôt son dévolu sur le papy libéré de ses poussées hormonales.

Les premiers seront les derniers

Tous les éjaculateu­rs précoces, les pressés de terminer en premier et les sprinteurs de la séduction Fitbit au poignet devraient visionner

Despacito. Y’a une leçon de vie là-dedans. Une leçon estivale, du moins. Tout doucement. Piano piano.

Du genre, le meilleur moment de l’amour, c’est quand tu te lamentes devant l’horizon qui s’en fout. Ou alors, c’est quand tu penses à tout ce que tu vas devoir te taper pour mériter ce que tu ne mérites pas vraiment, même la madre que

te pario le sait. Mais ça ne t’empêche pas de chanter: «Tú, tú eres el imán y yo soy el metal.» «Toi, tu es l’aimant et je suis le métal. » Despacito. Despacito. Même rouillé, le métal hurle encore. C’est pas d’Éluard, ni de Renaud, c’est une vieille bédé française de science-fiction, Métal hurlant.

Et ça hurle au point où tu te «pognes le moine», comme disait mon père. Pour bien nous montrer à quoi tu penses quand tu lui susurres : « Muestrame el camino que yo voy, oh. […] Y es que esa beleza es un rompecabez­as. Pero pa’montario aqui tengo la pieza.» «Montre-moi le chemin que je dois suivre. Et il est que cette beauté est un casse-tête. Mais pour le résoudre, j’ai la bonne pièce. »

Il est de bon ton, sur les terrasses du boulevard Saint-Laurent séparant l’ouest et l’est de la ville, de parler franglais. Je vous prédis avant la fin de l’été un léger glissement vers le spinglish ou le frangnol. «Mami, estoy dando y dándolo. » « Chérie, c’est du donnant-donnant. »

Le parler bilingue se fait despacito depuis des années et le langage universel depuis toute l’éternité. De toute façon, Fonsi pourrait chanter une recette de burritos, on danserait la salsa.

On dit que cette chanson pop a fait davantage pour le tourisme portoricai­n que tout Ricky Martin réuni, et Enrique Iglesias doit être jaloux comme un pou qui n’a jamais eu la gono.

Besame mucho

Despacito, c’est le prix de consolatio­n de Nordiques qui se tapent un été humide et froid après un printemps pluvieux et frais. Ils rêvent de débordemen­ts lascifs de 4 minutes 41 secondes avec cette naïade des Antilles qui se déhanche en distribuan­t les besos, tantôt comme une lointaine promesse sur le front d’un gamin, tantôt tel un souvenir sur celui du papy. Généreuse avec ça. Luis ne perd rien pour attendre.

Ça me rappelle la fois où j’ai traîné le mien, de papy, voir les danseuses du Solid Gold, le kidnappant un après-midi de son CHSLD. Le pauvre, il a eu hâte de rentrer pour souper à 16h. Je vous épargne les détails, mais le gin-tonic est incompatib­le avec les médicament­s dont on bourre nos vieux et qui éteignent leur libido, c’est bien connu.

Ceux de Porto Rico ont l’air encore en vie, un peu comme les vieux chanteurs cubains du Buena Vista Social Club d’il y a 20 ans. Vive le mojito, ça préserve.

Parlant de vieux, j’ai montré Despacito à mon ado, qui n’a même pas cillé. «Bof. C’est pas du rap.»

Je me suis rabattue sur sa grand-mère, la madre que me pario. Je m’attendais à une remarque sur la maman, la vierge et la putain, trilogie féminine qui imprègne très fort l’inconscien­t d’une culture qu’elle connaît bien. Elle a plutôt rigolé devant autant de clichés resucés. – T’as vu? Elle ne porte pas de petite culotte sous sa robe… commando! l’ai-je informée, même si ma madre parle parfaiteme­nt l’espagnol. – Sin string, comme disent les Latinos. Et comme on l’espère !

Ay !

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La destinatio­n, incarnée par l’ex-Miss Univers portoricai­ne Zuleyka Rivera. Elle fait trembler les murs.
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