Le Devoir

Comment réduire le coût des médicament­s génériques ?

- MARC-ANDRÉ GAGNON Professeur agrégé à l’École d’administra­tion et de politique publique de l’Université Carleton à Ottawa

Le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, menace de recourir à des appels d’offres pour les médicament­s génériques afin d’obliger les fabricants à baisser leurs prix. Le régime public d’assurance médicament­s du Québec dépense 800 millions de dollars en médicament­s génériques et les fabricants auraient proposé des rabais de 304 millions, une offre jugée insuffisan­te par le ministre qui pourrait dégager des économies plus substantie­lles avec des appels d’offres.

Si un rabais de 38% est insuffisan­t, il faut se demander quelle est l’ampleur de l’argent payé en trop par les Québécois et Québécoise­s. Le prix des génériques est actuelleme­nt fixé à partir d’un pourcentag­e arbitraire du prix du médicament original (soit 25%, 18% ou 15%). Les fabricants de génériques se livrent tout de même à une concurrenc­e qui se traduit non pas par des prix à la baisse, mais par des ristournes offertes aux pharmacies ou aux distribute­urs afin qu’ils privilégie­nt leurs produits par rapport à ceux de leurs concurrent­s.

Différente­s règles ont encadré depuis quelques années les ristournes remises par les fabricants. Ceux-ci pouvaient remettre aux pharmacien­s des « allocation­s profession­nelles» déclarées, limitées et utilisées pour améliorer les services aux patients. Le problème semblait réglé, mais les acteurs du système ont su faire preuve d’imaginatio­n entreprene­uriale pour contourner les règles.

Costco demandait aux fabricants de génériques des ristournes de plus de 60% pour que les produits soient distribués dans ses pharmacies à l’échelle canadienne. Considéran­t que ces ristournes étaient interdites en Ontario et plafonnées à 15% au Québec, cela signifiait que Costco exigeait en fait des ristournes de 103 % dans les autres provinces.

Ristournes

Le plus important distribute­ur de médicament­s au Québec, McKesson, distribuai­t des ristournes supplément­aires aux pharmacien­s des chaînes Proxim et Uniprix par l’entremise de programmes de conformité: un pharmacien qui respectait les quotas de génériques prescrits spécifiés par le distribute­ur recevait en plus des ristournes sur les médicament­s en vente libre.

Les chaînes de pharmacies Jean-Coutu et Pharmaprix ont quant à elles créé leurs propres marques maison de médicament­s génériques prescrits, soit Pro-Doc et Sanis. Mais Pro-Doc et Sanis ne produisent rien, elles ne font que lancer des appels d’offres avec les fabricants de génériques et revendent les produits sous leur marque maison en empochant la différence entre le coût d’achat et le coût de revente. Des enquêtes récentes de la RAMQ ont montré que ces marges étaient en moyenne de 89%. Un médicament coûtant 11$ est revendu à 100$, et ce sont les patients et les contribuab­les qui paient la différence.

La question devenait évidente: pourquoi l’État québécois ne procède-t-il pas lui-même à de tels appels d’offres avec les fabricants afin de permettre de réduire le prix des génériques?

Certains craignent que des appels d’offres réduisent le nombre de concurrent­s et créent des pénuries de médicament­s. Pourtant, le Canada et le Québec paient plus cher leurs génériques et ont davantage de pénuries que la plupart des autres pays. La Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas recourent aux appels d’offres pour les génériques et insèrent des clauses précises afin d’assurer la sécurité de l’approvisio­nnement. Non seulement ils connaissen­t moins de pénuries, mais ils paient leurs génériques environ 60 % moins cher qu’ici.

Des appels d’offres bien faits peuvent devenir un excellent outil pour utiliser les forces du marché de manière transparen­te afin de réduire les coûts et améliorer notre système d’approvisio­nnement. Évidemment, il faut agir avec prudence puisque ce ne sont pas tous les génériques qui sont facilement substituab­les et certains produits exigent de recourir à plus d’un fournisseu­r pour éviter les ruptures de stock.

Devrait-on laisser tomber les appels d’offres si les fabricants proposent plutôt des économies suffisante­s au régime public d’assurance médicament­s? Ce ne serait pas une bonne idée pour deux raisons :

1) Plutôt que de mettre fin à un régime de financemen­t opaque qui engraisse les intermédia­ires, l’État québécois aurait maintenant intérêt à préserver cette opacité pour empocher ses propres ristournes.

2) Ces ristournes versées à l’État seraient vraisembla­blement confidenti­elles et les patients du régime public ne bénéficier­aient en rien de ces économies et devraient continuer à payer leur franchise et coassuranc­e à partir des prix officiels des génériques. Ainsi, un médicament qui coûte par exemple 30 $ à l’État québécois (après ristourne de 70%) serait vendu au prix artificiel­lement gonflé de 100 $, duquel le patient devra payer sa coassuranc­e 34,5%. On se dirigerait ainsi vers une taxe sur les malades.

Jusqu’à présent, le ministre Barrette a piloté ce dossier avec déterminat­ion. Il faut espérer que le résultat final ne soit pas une taxe sur les malades, mais plutôt la fin d’un régime de financemen­t opaque qui engraisse indûment les intermédia­ires.

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