Tous les garçons s’appellent Mohamed
Frédérique Cournoyer Lessard signe un premier documentaire fort prometteur
RUE DE LA VICTOIRE 1/2 Documentaire de Frédérique Cournoyer Lessard. Québec, 2017, 65 minutes.
Il y a deux ans, Frédérique Cournoyer Lessard signait un bijou de court métrage, Pas. Sur quatre chorégraphies de Stéphanie Thellen, elle y racontait le destin d’une femme insoumise à quatre âges de sa vie. Ce qui frappait d’abord dans cette pimpante suite de tableaux dansés, c’était l’attention délicate qu’elle portait à mettre en valeur les corps en mouvement.
Volontairement ou non, la jeune réalisatrice formée à l’École nationale de cirque de Montréal et en production cinématographique à Concordia avait mis la barre bien haut. C’est dire qu’on attendait avec impatience ce portrait d’un jeune artiste de cirque tunisien qu’elle esquisse dans le documentaire Rue de la Victoire.
D’entrée de jeu, on nous annonce que le prénom masculin le plus répandu est Mohamed. Or, le Mohamed auquel s’intéresse Frédérique Cournoyer Lessard n’est pas un garçon comme les autres. Surnommé Barura (littéralement «crotte de mouton») quand il était petit et qu’il faisait moult acrobaties dans les rues de son quartier. Mohamed Dhiaa Garbi n’a jamais été comme ses trois frères, au grand dam de sa mère.
Il y a quelques années, le jeune homme croyait avoir trouvé sa voie alors qu’il entrait à l’École nationale de cirque de Tunis. Hélas! Les dirigeants de cette école étaient corrompus, et Mohamed a dû bientôt s’exiler en France afin d’y parfaire son art. Trapéziste au talent reconnu, spécialiste de la roue Cyr, celui-ci n’essuie que moqueries et sarcasme de la part de sa famille, insensible à sa vocation et à ses aspirations. Discrètement, la réalisatrice croque des scènes intimes qui choquent et attristent. Chaque fois, c’est la dignité, la détermination et la résilience de Mohamed qu’elle met en lumière, donnant ainsi à son portrait parfois cruel une éclatante lueur d’espoir.
Dans la veine de Pas, Rue de la Victoire porte un regard tendre et original sur un être insoumis, prêt à se battre pour demeurer fidèle à sa nature, en dépit des traditions ancestrales, des conventions sociales et familiales. Afin d’illustrer l’âme de cet artiste, l’un des rares artistes circassiens tunisiens, la documentariste n’hésite pas à faire un charmant détour vers la fiction en suivant les pas d’un jeune Mohamed qui cabriole d’un point à l’autre.
Une fois de plus, par sa façon de cadrer les corps en mouvement, de mettre en lumière la beauté du geste, Frédérique Cournoyer Lessard démontre un sens de l’image d’une remarquable singularité. Tour à tour ludique et poétique, Rue de la Victoire porte bien la signature d’une cinéaste prometteuse qu’on prendra assurément plaisir à suivre.