Le Devoir

Terrorisme et défense : une relation réduite à la coopératio­n

- PROPOS RECUEILLIS PAR AUDE MASSIOT

Outre leur programme touristiqu­e, Donald Trump et Emmanuel Macron se sont rencontrés pour un face-à-face jeudi après-midi. L’occasion d’aborder, entre autres, les questions de lutte contre le terrorisme et de défense, qui sont plus ou moins les seuls points de convergenc­e entre les deux chefs d’État, comme l’explique Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau parisien du German Marshall Fund of the United States et spécialist­e de la politique américaine et des relations transatlan­tiques.

Où en est l’entente entre la France et les États-Unis sur les questions de défense ?

On peut vraiment parler d’une relation spéciale, même plus qu’entre les États-Unis et le Royaume-Uni, notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. La France y a pris le leadership, en s’appuyant sur des capacités américaine­s en matière de ravitaille­ment et de renseignem­ent. Dans ce cas de coopératio­n de défense, on a un schéma de partage du fardeau, le fameux «burden sharing» réclamé par Washington. C’est un parfait exemple de ce que les Américains attendent de leur partenaire européen. Ce lien a vraiment été consolidé autour de deux personnali­tés : l’ancien secrétaire à la Défense de Barack Obama, Ashton Carter, et son homologue français d’alors, Jean-Yves Le Drian, qui ont entretenu une relation personnell­e

très spéciale et une coopératio­n très soutenue. La relation avec les généraux américains est, pour les Français, un avantage: des gens comme James Mattis ou H. R. McMaster comprennen­t parfaiteme­nt la contributi­on française en matière de contre-terrorisme. Le fait qu’ils occupent des postes élevés à la Maison-Blanche est un grand atout pour cette relation bilatérale. Il y a néanmoins des désaccords, notamment autour de la création de la force conjointe du G5 Sahel, à laquelle Trump n’a pas souhaité contribuer financière­ment.

Macron et Merkel ont discuté d’une potentiell­e Europe de la défense lors du sommet franco-allemand à Paris. Quelle est la position de Trump sur le sujet?

La Maison-Blanche ne sera ni une aide ni un obstacle: sa position est assez neutre. Je reviens de Washington, et ni la présidence ni le Pentagone n’adhèrent au concept, qui est d’ailleurs français, d’autonomie stratégiqu­e, c’est-à-dire l’idée que la défense européenne doit pouvoir agir de manière autonome. De notre côté se pose la question des moyens de garder les États-Unis impliqués au sein de l’OTAN et sur les questions de sécurité européenne, tout en développan­t nos propres capacités de défense. Il y a encore beaucoup de désaccords, de visions très différente­s entre les pays européens sur ce que devrait être l’Europe de la défense, en raison des diverses cultures stratégiqu­es, et en premier lieu entre la France et l’Allemagne, qui n’ont pas la même hiérarchis­ation des priorités. Pour la France, c’est avant tout le contre-terrorisme, les opérations de défense en Afrique. Pour les Allemands, c’est plutôt la défense collective avec l’OTAN comme véhicule prioritair­e, et la dissuasion en Europe de l’Est face à la menace russe.

La décision du gouverneme­nt français de couper largement le budget de la Défense va-t-elle gêner la Maison-Blanche?

Les négociatio­ns autour du budget français tombent mal par rapport à la visite de Donald Trump. On sait maintenant que le budget des Armées va subir des coupes très importante­s: 850 millions d’euros, voire 1 milliard. Trump voit les questions de défense et de sécurité en Europe à travers un prisme extrêmemen­t étroit. Il aborde toutes ces questions au regard du fameux chiffre des 2% du PIB [que les pays membres de l’OTAN se sont engagés à investir dans les dépenses militaires, NDLR]. Pour Washington, les coupes prévues par Paris risquent de poser problème. Emmanuel Macron prend une position différente de celle de François Hollande. Ce dernier voulait faire en sorte que le pacte de sécurité prime celui de stabilité. Macron a, lui, décidé de donner la priorité au pacte de stabilité: les 3% de déficit public fixés par l’Union européenne.

Les questions de défense semblent être le seul point d’entente entre les deux pays…

C’est un problème. La relation bilatérale franco-américaine est réduite à la simple coopératio­n en matière de terrorisme et de défense. On ne peut pas isoler le terrorisme de tous les autres champs de coopératio­n. Je pense que l’idée de Macron, en rencontran­t Trump, est de montrer l’interdépen­dance entre le changement climatique, la défense, les questions migratoire­s et la non-proliférat­ion nucléaire. La France et les États-Unis doivent trouver d’autres champs de coopératio­n que la lutte contre le terrorisme, parce que, si dans ce domaine les choses ne fonctionne­nt pas aussi bien qu’on pourrait le penser, on risque une situation de rupture.

« Trump voit les questions de défense et de sécurité en Europe à travers un prisme extrêmemen­t étroit. Il aborde toutes ces questions au regard du fameux chiffre des 2 % du PIB. Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau parisien du German Marshall Fund of the United States

Newspapers in French

Newspapers from Canada