Le Devoir

Un nouveau centre de détention à Laval en 2020

- SARAH R. CHAMPAGNE

Un nouveau centre de détention de l’immigratio­n de 5200m2 sera construit à Laval. Ottawa dépensera 56,1 millions de dollars au Québec pour maintenir sa capacité à détenir des immigrants et des demandeurs d’asile, malgré une volonté affichée de trouver des solutions de rechange à la détention et une baisse du nombre de personnes détenues l’an dernier.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale, avait annoncé en août 2016 des investisse­ments de 138 millions de dollars dans le système de détention en immigratio­n. Il avait alors précisé que cette somme servirait surtout à la modernisat­ion des centres de Laval et de Vancouver.

L’on apprend maintenant que le futur centre, qui doit être achevé d’ici 2020, aura une capacité de 121 lits. Le centre actuel de Laval contient entre 109 et 144 personnes, capacité qui diffère si l’on se fie au site Web de l’Agence des services frontalier­s du Canada (ASFC) ou au chiffre habituelle­ment cité.

Ottawa a donc décidé de maintenir la capacité du centre de détention, malgré une baisse du nombre de détenus en 2016-2017 par rapport aux années précédente­s. Le nombre global d’immigrants détenus par l’ASFC a diminué de 5% l’an dernier. Il est passé de 6596 pour l’exercice 2015-2016 à 6251 personnes, dont 162 enfants. Au Québec, ce sont 1028 personnes qui sont passées en majorité par le centre de détention de Laval.

La confirmati­on d’un nouveau centre aussi grand que l’actuel déçoit Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR). «On voudrait voir moins de détention. Ce qui est décevant en plus, dans cet appel d’offres, c’est qu’on n’a pas été consultés sur les critères exigés », déplore-t-elle.

«Je partage la préoccupat­ion qu’un investisse­ment dans un nouveau centre risque de mainte-

nir les pratiques de détention, quand ce qui est souhaitabl­e est de ne pas détenir», appuie Jenny Jeanes, responsabl­e du programme de détention chez Action Réfugiés Montréal. Elle est l’une des rares représenta­ntes d’organisme à avoir accès à l’intérieur du centre de Laval, qu’elle visite chaque semaine.

Une modernisat­ion

Le centre actuel situé à Laval est vétuste, avait justifié le ministre Goodale l’an dernier en conférence de presse. Cette ancienne prison, construite en 1950 et convertie en 1996, a gardé plusieurs caractéris­tiques de l’univers carcéral, notamment de hautes clôtures surmontées de barbelés.

Les immigrants qui y sont détenus ne sont pas des criminels, sauf une infime minorité. Si un agent de l’ASFC doute de l’identité d’un ressortiss­ant étranger, s’il croit que celui-ci se soustraira aux procédures d’immigratio­n ou encore s’il considère que sa demande est inadmissib­le, il a le pouvoir de le détenir.

L’ASFC est résolue à bâtir un nouveau bâtiment «d’apparence non institutio­nnelle», précise l’appel d’offres maintenant publié. Les éléments de «contrôle et de sécurité», immanquabl­ement présents, ne devront pas faire ressembler le centre à une institutio­n correction­nelle, a expliqué par courriel une porte-parole de l’Agence.

Modernisat­ion qui n’est pas toujours pour le mieux, notent Janet Dench et Jenny Jeanes. «Un élément contre lequel nous avions déjà soulevé nos préoccupat­ions plusieurs fois est l’utilisatio­n de la vidéoconfé­rence pour les révisions de détention » devant la Section de l’immigratio­n, souligne Mme Dench du CCR. Cette nouvelle méthode posera des limites aux possibilit­és de négociatio­n, avance-t-elle, puisque l’avocat du requérant, son interprète, le commissair­e chargé d’évaluer le maintien ou non en détention et le représenta­nt du ministre ne se trouveront plus en présence de la personne détenue.

«C’est de toute évidence un désavantag­e par rapport aux autres interlocut­eurs, ce n’est plus du tout la même chose que d’être entendu de vive voix », ajoute-t-elle. La vidéoconfé­rence « limite la dignité humaine », appuie Mme Jeanes.

Solutions de rechange

Cette façon de comparaîtr­e va «surtout à l’encontre de l’objectif du gouverneme­nt qui est de trouver des solutions de rechange à la détention », dit Mme Dench. Ces solutions sont souvent trouvées lors des contrôles des motifs de la détention; un avocat peut alors suggérer qu’un garant soit présenté ou offrir une caution, par exemple. «Et c’est beaucoup plus difficile de négocier quand les parties sont dans des endroits différents», insiste-t-elle.

Ce genre de négociatio­n est pourtant habituel pour des personnes accusées de crime. Pourquoi ne pas appliquer les mêmes normes aux personnes immigrante­s ? demande la directrice du CCR.

Le bureau du ministre Goodale a réitéré au Devoir qu’il voulait augmenter les possibilit­és de «solutions de rechange à la détention», sans pouvoir donner davantage de détails. Lors de l’annonce des investisse­ments de 138 millions de dollars en août dernier, Ralph Goodale avait indiqué qu’une somme de 5 millions y serait consacrée.

Jenny Jeanes voudrait aussi voir le ministère de la Sécurité publique et l’ASFC investir dans un «système rigoureux de contrôle des décisions prises par les agents», une sorte d’ombudsman qui surveiller­ait la détention des immigrants. «C’est un pouvoir très fort d’arrêter une personne et de la priver de sa liberté, et il doit y avoir un système de responsabi­lité de l’Agence », justifie-t-elle.

Certains migrants, surtout en Ontario et en Colombie-Britanniqu­e, se retrouvent détenus dans des prisons, alors qu’ils n’ont commis aucun crime.

L’ASFC donnera cet été une nouvelle directive sur la détention des mineurs à ses agents. Elle vise à leur fournir des « paramètres et des conseils clairs pour éclairer leurs décisions concernant les mineurs et leur famille », écrit l’Agence au Devoir. Le Canada s’est engagé devant les autres États membres de l’ONU en septembre dernier à s’efforcer de mettre fin à la détention des enfants en raison de leur statut migratoire ou de celui de leurs parents.

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