Le Devoir

Toute l’humanité sur une civière

ÉAU mise sur la symbiose entre les plantes et les poissons pour combattre l’insécurité alimentair­e

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Le Québec regorge d’entreprene­urs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateur. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnair­es, dont les ambitions pourraient transforme­r votre quotidien. Aujourd’hui, des passionnés d’agricultur­e qui s’attaquent au défi alimentair­e mondial en symbiose avec la nature.

C’était il y a quelques années, mais Olivier Demers-Dubé se souvient de cette froide soirée d’hiver comme si c’était hier. Alors coanimateu­r d’une émission sur l’agricultur­e urbaine à la station de radio communauta­ire CIBL, avec sa collègue, il prend la route de Québec pour rencontrer un expert de la culture des champignon­s, sans se douter que ce qu’il est sur le point de découvrir marquera un tournant dans sa vie.

Dans le sous-sol de son hôte, Olivier est immédiatem­ent fasciné

par ce qu’il voit: un aquarium avec cinq tilapias, surmonté de plants de basilic qui poussent en plein hiver. «Je n’avais jamais vu ça», se souvient-il.

«Encore aujourd’hui, je ne sais pas trop pourquoi on a accepté de faire trois heures de route pour aller voir cette expérience scientifiq­ue, mais je pense que ce moment-là a catalysé quelque chose.»

Après être tombé en amour avec ce qu’on appelle l’aquaponie, Olivier rencontre Émilie Nollet dans le studio de CIBL. L’entente est parfaite avec cette spécialist­e du développem­ent durable qui s’intéresse à la question de l’insécurité alimentair­e depuis des années. Ensemble, ils créent ÉAU (prononcer «éau»), pour Écosystème­s alimentair­es urbains.

«La question initiale a toujours été l’accessibil­ité d’une alimentati­on de qualité, principale­ment dans les milieux où, géographiq­uement et économique­ment, elle est moins présente et moins accessible, explique Olivier. Ça a toujours été le fondement de l’entreprise, et ce l’est encore aujourd’hui.»

Production toute naturelle

Pour remplir sa mission, ÉAU a choisi de miser sur l’aquaponie, ce système de production permettant de produire des fruits, des légumes et des poissons dans un circuit fermé. Les excréments des poissons nourrissen­t les plantes qui, en retour, filtrent l’eau des poissons.

Ce mode de production symbiotiqu­e est mis au point depuis des décennies, mais il gagne en popularité depuis qu’il a fait ses preuves sur le plan économique et technologi­que.

Émilie fait remarquer que l’aquaponie utilise 80% moins d’eau que l’agricultur­e convention­nelle, sans utiliser les pesticides et les engrais nocifs pour l’environnem­ent et la santé humaine. «Notre but est d’utiliser une technologi­e complexe et de la rendre conviviale », résume-t-elle.

ÉAU a démontré le sérieux de son projet en installant une première ferme aquaponiqu­e verticale l’été dernier sur la place Shamrock, près du marché Jean-Talon. Les visiteurs ont pu constater tout le potentiel du système en entrant dans les deux conteneurs superposés.

Communauté­s autonomes

Profitant de l’engouement pour cette première expérience

réussie, la jeune compagnie s’est rapidement mise à échanger avec des communauté­s et des organismes intéressés par le projet. Au départ, les cofondateu­rs avaient l’intention d’implanter des fermes verticales dans des déserts alimentair­es, pour ensuite vendre la production à la population locale. Mais en discutant avec les principaux intéressés, elle a changé de cap.

«Les communauté­s qui nous ont approchés en voyant la première ferme aquaponiqu­e ont dit qu’elles étaient surtout intéressée­s à faire la production elles-mêmes », note Julien Le Net, responsabl­e du développem­ent des affaires chez ÉAU.

La jeune compagnie a donc adapté son modèle d’affaires: elle travaille désormais en partenaria­t avec les communauté­s où ses fermes seront installées. L’entreprise est en contact avec des organismes communauta­ires, des communauté­s autochtone­s et des entreprise­s sociales provenant des quatre coins du Québec, de Montréal à la Baie-James, en passant par le Saguenay– Lac-St-Jean. Elle compte commencer la constructi­on d’une à trois fermes verticales à la fin de 2017 ou au début de 2018.

Engouement internatio­nal

À terme, ÉAU veut bâtir un vaste réseau de fermes, pour recueillir des données et sans cesse poursuivre le développem­ent technologi­que de ses installati­ons. Elle souhaite que chacune d’entre elles soit adaptée aux besoins et à la culture des communauté­s visées.

L’aquaponie permet pour l’instant de produire près de 150 espèces de plantes différente­s, mais l’entreprise teste actuelleme­nt des semences autochtone­s ou africaines, afin d’offrir des produits convoités par les communauté­s du Nord québécois ou les immigrants de Montréal, par exemple. «On n’a vu que la pointe de l’iceberg », glisse Olivier.

Et puisque le problème de l’insécurité alimentair­e est mondial, ÉAU veut éventuelle­ment sortir du Québec et répondre aux demandes qu’elle reçoit déjà chaque semaine en provenance de la Russie, de l’Afrique du Nord, de l’Afrique de l’Ouest ou du Moyen-Orient.

«Nos fermes verticales représente­nt une solution d’avenir pour énormément de pays, constate Émilie. Mais qu’on travaille au Gabon, en Algérie ou en France, on veut toujours garder la même approche avec les communauté­s.»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Julien Le Net, Olivier Demers-Dubé et Émilie Nollet sont les entreprene­urs derrière ÉAU, une jeune compagnie d’aquaponie.
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ÉAU L’aquaponie permet de produire près de 150 espèces de plantes.

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