Le Devoir

Québec veut réduire l’usage de certains pesticides… sans les interdire

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt Couillard souhaite « réduire » l’utilisatio­n de certains pesticides couramment utilisés dans le domaine agricole au Québec. Mais il ne compte pas interdire certains produits pourtant réputés toxiques pour la santé humaine, l’environnem­ent et les insectes pollinisat­eurs.

C’est ce qui se dégage du « projet de modificati­ons réglementa­ires » déposé vendredi dans le cadre de la mise en oeuvre de la «Stratégie québécoise sur les pesticides 2015-2018». Ce projet sera d’ailleurs suivi d’une «consultati­on publique» qui se tiendra en plein coeur de la période estivale.

Essentiell­ement, Québec compte «interdire» l’utilisatio­n de l’atrazine, du chlorpyrif­os et de trois néonicotin­oïdes (la clothianid­ine, l’imidaclopr­ide et le thiaméthox­ame), ainsi que la mise en terre des néonicotin­oïdes qui enrobent les semences de «certaines» cultures en milieu agricole. Fait à noter, la quasi-totalité des semences de maïs et environ la moitié des semences de soya sont traitées avec ces insecticid­es.

Le gouverneme­nt Couillard prévoit cependant que tous ces pesticides pourront continuer d’être utilisés «si leur usage est justifié au préalable par un agronome ». Or, cette façon de faire est déjà en bonne partie en vigueur, selon l’Union des producteur­s agricoles.

«Je suis persuadé qu’une utilisatio­n contrôlée, rigoureuse et responsabl­e des pesticides est la clé pour réduire leurs effets néfastes sur la santé de la population, sur les pollinisat­eurs et sur l’environnem­ent», a commenté, par voie de communiqué, le ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel.

«Afin d’améliorer plus rapidement la santé de nos écosystème­s, nous devons donc aller encore plus loin en resserrant l’encadremen­t de l’utilisatio­n des pesticides les plus à risque. »

Produits toxiques

Pour Louise Hénault-Éthier, spécialist­e des pesticides à la Fondation David Suzuki, la «porte ouverte» à des pesticides pourtant réputés pour leur toxicité est une mauvaise nouvelle.

À titre d’exemple, l’Autorité européenne de sécurité des aliments reconnaît clairement que les néonicotin­oïdes, vendus librement au Québec, pourraient affecter le cerveau humain et le système ner veux.

Ces néonicotin­oïdes sont aussi montrés du doigt pour expliquer l’effondreme­nt des colonies d’abeilles, une situation qui pose un risque majeur pour toute l’agricultur­e. Et leurs concentrat­ions dans plusieurs cours d’eau sont en croissance, ce qui pose des risques environnem­entaux certains, prévenait l’an dernier Santé Canada.

Réagissant au projet publié vendredi sans préavis, Équiterre a salué «un pas en avant», mais qui ne va pas assez loin. Le groupe, tout comme plusieurs autres organisati­ons écologiste­s au Canada, souhaite «l’interdicti­on des pesticides les plus toxiques».

Utilisatio­n en hausse

Du côté des Producteur­s de grains du Québec, on demande au gouverneme­nt de dévoiler l’évaluation des impacts financiers des mesures proposées pour les entreprise­s.

«Les producteur­s de grains du Québec devront manifestem­ent s’ajuster, encore une fois, à de nouvelles contrainte­s sans évaluation de leur impact. D’ailleurs, le moment choisi pour présenter ces nouvelles mesures est peu propice à attirer l’attention des citoyens», a commenté Christian Overbeek, président de l’organisati­on.

L’an dernier, le commissair­e au développem­ent durable soulignait le manque de suivi du gouverneme­nt sur l’utilisatio­n des pesticides. Il notait aussi que l’augmentati­on des ventes de ces produits se poursuivai­t, malgré les promesses de réduction du recours aux pesticides formulées par les gouverneme­nts depuis 25 ans.

Un rapport de l’ONU publié en mars dénonçait par ailleurs le recours à grande échelle aux pesticides dans toutes les régions du monde, au nom de la productivi­té de l’agricultur­e industriel­le.

Les auteurs y accusent directemen­t la puissante industrie qui commercial­ise ces produits de nier systématiq­uement les risques et les impacts des pesticides pour la santé humaine et l’environnem­ent.

L’organisme Équiterre a salué «un pas en avant », mais qui ne va pas assez loin

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les néonicotin­oïdes sont notamment montrés du doigt pour expliquer l’effondreme­nt des colonies d’abeilles, une situation qui pose un risque majeur pour toute l’agricultur­e.

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