Le Devoir

Pourquoi la générosité nous rend plus heureux

- MARIE-LAURE THÉODULE

Pour la première fois, une expérience confirme par imagerie cérébrale que la générosité et le sentiment de bonheur sont bien associés dans le cer veau.

Qu’est-ce qui pousse l’être humain à se montrer généreux? Par exemple lorsqu’il fait des dons à des associatio­ns humanitair­es, qu’il se lance dans le bénévolat, ou qu’il aide un passant handicapé à traverser la rue? L’économie, la psychologi­e, la biologie et la philosophi­e, toutes ces discipline­s ont tenté de découvrir les raisons profondes qui sous-tendent nos comporteme­nts généreux.

Parmi les motifs étudiés — soutien à ses proches ou à sa communauté, attente d’une réciprocit­é (si j’aide l’autre, il m’aidera aussi), recherche de notoriété —, aucun n’explique complèteme­nt cette propension de l’homme à la générosité, quel que soit le contexte.

Une autre hypothèse a désormais le vent en poupe, car elle s’est renforcée à partir de nombreuses études en psychologi­e menées depuis les années 2000: et si aider les autres nous rendait tout simplement heureux ?

Cette idée va à l’encontre de la pensée dominante en économie, selon laquelle tout comporteme­nt généreux représente un coût pour l’individu — il dépense ses ressources pour les autres —, alors que la poursuite du bonheur est considérée comme la recherche d’un gain.

«Pourtant, beaucoup de travaux en psychologi­e montrent les liens entre générosité et bonheur. Ainsi, en 2010, une enquête menée dans 136 pays, avec une moyenne de plus de 1300 personnes par pays, a trouvé une corrélatio­n positive entre le don et le bien-être dans 122 pays», explique Jacques Lecomte, chercheur en psychologi­e, et auteur d’un essai sur le sujet, Bonté humaine: altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2002).

Mécanismes cérébraux

Or, pour la première fois, un travail d’une équipe internatio­nale de neurobiolo­gistes des université­s de Lübeck (Allemagne), Chicago et Zurich démontre que la relation entre générosité et sensation de bonheur s’observe aussi dans le cerveau. Les études en neuro-imagerie avaient jusqu’à présent étudié séparément chaque phénomène.

Ainsi, un comporteme­nt généreux active une zone du cerveau, la jonction temporo-pariétale. Et la sensation de bonheur, en raison de sa relation au plaisir, active deux zones cérébrales liées à la récompense, le striatum ventral et le cortex orbito-frontal. Allant plus loin, la nouvelle étude détaille les mécanismes cérébraux par lesquels le comporteme­nt généreux module la sensation de bonheur.

La générosité entraîne la générosité

Pour cela, l’équipe a établi un protocole en deux phases qu’elle a testé auprès de 48 participan­ts répartis en deux groupes, l’un s’engageant dans une action altruiste et l’autre servant de contrôle.

Au début de la première phase, les participan­ts apprennent qu’on va leur envoyer de l’argent (25francs par semaine) pendant quatre semaines. La moitié d’entre eux (le groupe expériment­al) s’engage à dépenser cet argent pour d’autres, cependant que l’autre moitié (le groupe témoin) s’engage à dépenser cet argent pour lui-même.

Puis, lors de la seconde phase, l’ensemble des participan­ts effectue une tâche de prise de décision dans laquelle ils peuvent se comporter plus ou moins généreusem­ent, pendant que l’on mesure leur activité cérébrale à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionne­lle. Par ailleurs, le niveau de bien-être des participan­ts a été évalué deux fois au moyen d’un questionna­ire standardis­é : au tout début de l’étude, avant qu’ils ne reçoivent les consignes, et à la fin.

Résultat: sur le plan comporteme­ntal, les participan­ts engagés dans la promesse d’une action généreuse se sont comportés plus généreusem­ent aussi dans la tâche de prise de décision, et leur niveau de bien-être a augmenté plus que celui du groupe de contrôle. Et au niveau neuronal, on note chez le groupe expériment­al par rapport au groupe témoin une augmentati­on de l’activité de la jonction temporopar­iétale (liée à la générosité), laquelle est corrélée à une augmentati­on de l’activité du striatum ventral (lié au bien-être).

«Notre travail montre donc que l’engagement dans une promesse de don, comme dans les émissions de télévision, suffit à faire augmenter la sensation de bien-être et la générosité, et que le lien entre générosité et bonheur existe aussi au niveau neuronal dans l’interactio­n entre deux régions du cerveau », explique Philippe Tobler de l’Université de Zurich, l’un des auteurs de l’étude.

Mais Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatri­e à l’hôpital Bichat à Paris, tempère: «Cette étude très sérieuse n’a pas d’applicatio­n directe au niveau médical. Elle s’inscrit dans un courant qui tente de localiser, comme au XIXe siècle, des fonctions intellectu­elles. Elle montre tout de même notre grande plasticité cérébrale: lorsqu’on fait un travail psychologi­que, ici un travail de générosité, cela modifie notre cerveau.»

Reste une question non résolue, comme le souligne Philippe Tobler: un individu sera-t-il plus heureux s’il se montre généreux uniquement dans ce but? La neuro-imagerie n’explique pas encore si on peut forcer le bonheur…

Beaucoup de travaux en psychologi­e montrent les liens entre générosité et bonheur Jacques Lecomte, chercheur en psychologi­e

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FREDERIC J. BROWN AGENCE FRANCE-PRESSE Une étude de neurobiolo­gistes allemands, américains et suisses démontre que la relation entre générosité et sensation de bonheur s’observe aussi dans le cerveau.

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