Les promesses de renaissance du Centre-Sud
Les sites de Radio-Canada et de la brasserie Molson ouvrent de nouvelles perspectives pour le quartier
Avec le déménagement à venir de Molson et le réaménagement de l’immense site de RadioCanada, le quartier Centre-Sud se prépare à une vaste requalification urbaine dans les années, voire les décennies, à venir. Montréal y voit même l’occasion de discuter avec Québec de l’enfouissement de l’autoroute Ville-Marie vers l’est, jusqu’à l’avenue Papineau.
Lorsque son administration a donné le feu vert à la construction de la Maison de Radio-Canada sur le boulevard Dorchester dans les années 1960, l’exmaire Jean Drapeau rêvait d’un centre-ville canadien-français dans l’est de Montréal. Ce centre-ville n’a jamais émergé, et c’est plutôt un quartier morcelé par des voies routières qui a été laissé en héritage.
Le Centre-Sud n’a pas été gâté. Dès 1926, cet ancien quartier industriel et ouvrier a été le théâtre d’expropriations pour permettre la construction du pont Jacques-Cartier. L’aménagement de l’autoroute Ville-Marie, inaugurée en 1974, a créé une immense cicatrice au centre-ville. Sans compter le Faubourg à m’lasse, rayé de la carte pour faire place à la Maison de Radio-Canada.
Quelques décennies plus tard, un vent de renouveau souffle sur l’est. Radio-Canada a vendu sa tour et l’ensemble de sa propriété à des promoteurs et deviendra locataire, en 2020, de sa nouvelle maison, qui sera construite à l’angle du boulevard René-Lévesque et de l’avenue Papineau.
Télé-Québec et la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) emménageront dans l’édifice patrimonial Au-Pieddu-Courant, à l’angle de l’avenue de Lorimier et de la rue Notre-Dame Est, en 2019.
Et plus récemment, la brasserie Molson a confirmé le déménagement de son usine de la rue Notre-Dame vers un nouveau site qui n’a pas été révélé. On ignore encore ce qu’il adviendra des bâtiments actuels, mais l’entreprise a déjà laissé entendre qu’elle garderait une partie du site.
« C’est la fin d’un processus qui a commencé il y a longtemps avec la construction du pont Jacques-Cartier, puis avec l’élargissement du boulevard Dorchester. Le quartier a été “débâti”, explique René Binette, directeur de l’Écomusée du fier monde. Il y a une occasion de recréer le tissu urbain, mais des questions se poseront sur ce que l’on conservera de la mémoire de cet ancien quartier industriel et ouvrier. La mémoire, ça se perd vite.»
Des condos
Le Centre-Sud est déjà dans la mire de la Ville de Montréal. Outre la Stratégie centreville présentée en juin 2016, qui prévoit d’attirer 50 000 nouveaux résidants dans le centreville d’ici 2030, l’arrondissement de Ville-Marie, en collaboration avec Les Ponts Jacques Cartier et Champlain, a entrepris de redessiner l’entrée du pont Jacques-Cartier. On envisage notamment de surélever les voies d’accès du pont et de retisser les liens entre les quartiers Sainte-Marie et Saint-Jacques. Ce projet ne verra pas le jour avant plusieurs années, mais il pourrait bonifier le plan de développement d’ensemble qui se profile dans le secteur.
«On a une occasion de refaire un morceau de ville qui, malheureusement, a été détruit à une autre époque», reconnaît Richard Bergeron, responsable de la stratégie pour le centre-ville au comité exécutif.
Selon lui, le départ de Molson ouvre de nouvelles perspectives : «La partie plus récente de l’usine n’a aucune valeur patrimoniale. Donc, grosso modo, on a autour de 500 mètres linéaires dans la continuité du Faubourg Québec. Ouf! Quelle belle occasion que cette formidable fenêtre sur le fleuve!»
Pour y mettre quoi? Des condos, notamment, suggère M. Bergeron, qui promet cependant d’appliquer la politique d’inclusion de
logements sociaux et abordables. «Pour moi, le mot condo n’est pas rébarbatif. Ça veut dire de nouveaux habitants à Montréal, des gens qui réapprennent les vertus de la centralité, les milléniaux qui rêvent moins que leurs parents à la banlieue et des baby-boomers qui reviennent en ville. »
Ce secteur est loin d’être le seul à présenter un potentiel de densification. Le vaste terrain de Radio-Canada pourrait accueillir 3000 logements d’ici 20 ans.
Plus à l’est, un site de 27 000 mètres carrés est toujours vacant à l’angle de l’avenue De Lorimier et de la rue Sainte-Catherine. En mai 2016, les promoteurs Michael et Claudio Bertone ont dévoilé leur mégaprojet immobilier comportant deux tours résidentielles de 40 et 28 étages ainsi que des bureaux, des commerces, un hôtel et des espaces de divertissement. Le projet est retardé, mais il est toujours sur les rails, a assuré au Devoir un représentant des promoteurs.
Toutes ces perspectives font dire à Richard Bergeron qu’il faudra envisager l’enfouissement des voies de circulation de l’autoroute Ville-Marie jusqu’à l’avenue Papineau : «On peut difficilement imaginer que Molson et Radio-Canada vont se redévelopper de part et d’autre de ce qui est présentement l’espace de circulation au milieu. C’est un enjeu important à partir de maintenant. Ça devient une condition de réussite ».
Les leçons de Griffintown
Le réaménagement du Centre-Sud nécessitera de grandes précautions, estime l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur titulaire à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. «C’est un secteur qui est affecté par des handicaps extrêmement lourds avec la présence du pont Jacques-Cartier, l’autoroute VilleMarie, l’autoroute-boulevard Notre-Dame et les voies ferrées », dit-il.
Il déconseille à la Ville de laisser les commandes aux promoteurs. « Il ne faut pas répéter les bêtises de Griffintown, c’est-à-dire laisser les promoteurs s’épivarder et démarrer des projets partout à gauche et à droite, explique-t-il. C’est la Ville qui doit prendre le leadership et elle doit se donner un échéancier de 50 ans. Ça prendra le temps que ça prendra.»
Directeur de la Corporation de développement communautaire Centre-Sud, François Bergeron est plutôt optimiste, même s’il insiste sur l’importance d’impliquer la communauté et de maintenir la mixité sociale dans ce quartier. Selon lui, des ententes de développement devront être conclues avec les promoteurs. « Il faut s’assurer que ces investissements rejaillissent dans la communauté, que ce soit par l’emploi local ou par des aménagements ouverts au public. Et même si on fait de nouveaux ensembles résidentiels, des enjeux de centre-ville comme l’itinérance vont demeurer. On n’est pas au milieu d’un champ au coin de la 10 et la 30.»
Le travail de planification s’annonce de longue haleine. Gérard Beaudet note qu’au cours des dernières décennies, les promoteurs privés ont été plus attirés par l’ouest du centreville malgré les investissements importants consentis dans l’est, qu’il s’agisse de la Grande Bibliothèque, du complexe Guy-Favreau ou de l’UQAM. « On voit bien qu’on a eu beau investir des centaines de millions depuis des décennies, le privé n’a pas suivi, dit-il. Il faut aborder cet ensemble résidentiel avec beaucoup de modestie et ne pas s’imaginer que, parce qu’il y a deux ou trois investissements publics, ça va lever. »