Le Devoir

« Trumpcare » en difficulté au Sénat

- MARIE-CHRISTINE BONZOM à Washington

Les républicai­ns cherchent toujours à « abolir et à remplacer Obamacare », la réforme du système de santé adoptée par une majorité démocrate en 2010. Mais bien qu’ils contrôlent les pouvoirs législatif et exécutif, leur propositio­n de loi sur ce qui fut leur principale promesse électorale est en grande difficulté au Sénat.

Les dirigeants du Parti républicai­n au Sénat ont dévoilé jeudi une nouvelle version de la réforme connue sous le nom d’Obamacare. Plusieurs fois reporté, le vote est désormais prévu dans les prochains jours.

Le 4 mai, la Chambre a adopté une autre version du texte lors d’un débat qui a révélé de profondes divisions au sein de la majorité.

Les divisions internes au parti sont amplifiées au Sénat, où les modérés ont plus de poids. En mai, ceux-là ont rejeté le texte de la Chambre dans lequel ils voyaient un recul intolérabl­e en matière d’accès et de qualité des soins.

Deux mois après, les divisions entre sénateurs républicai­ns sont encore si importante­s que le chef de la majorité, Mitch McConnell, a dû retarder de deux semaines les vacances parlementa­ires, le Sénat prolongean­t sa session jusqu’au 15 août. Les tergiversa­tions des républicai­ns qui, comme leurs collègues démocrates, sont assurés par un autre système, public et bien plus généreux, qu’Obamacare, rendent nerveux les 25 millions d’Américains et de résidents des États-Unis qui en dépendent.

«Ça suscite énormément d’incertitud­e », déclare au Devoir Karen Pollitz, chercheuse à la Kaiser Family Foundation et ancienne responsabl­e du ministère de la Santé pendant la présidence de Barack Obama.

«Les personnes assurées, soit sur le marché individuel réglementé par Obamacare, soit grâce à l’expansion, prévue par cette loi, de Medicaid, le programme fédéral pour les pauvres, ont peur de perdre leur couverture», explique Karen Pollitz.

Du reste, la Cour des comptes estime que 22 millions de personnes perdraient leur couverture dans les dix premières années d’applicatio­n du texte républicai­n du Sénat.

«Quant aux compagnies d’assurance, elles ne savent pas quelles seront les règles du jeu, or c’est maintenant qu’elles fixent leurs tarifs pour le renouvelle­ment annuel des polices dans le cadre d’Obamacare, et ces tarifs sont déjà 20 à 25 % plus élevés que l’an passé et ils pourraient encore augmenter», ajoute Karen Pollitz.

Les sénateurs modérés, tels que Susan Collins du Maine, reprochent au texte de saper l’expansion de Medicaid en réduisant radicaleme­nt le financemen­t fédéral que les États reçoivent dans le cadre d’Obamacare.

Ces centristes veulent seulement améliorer la réforme de Barack Obama, notamment pour diminuer les cotisation­s et les seuils de remboursem­ent du marché individuel de l’assurance.

Mais d’autres républicai­ns veulent abolir et remplacer Obamacare, pas le modifier. C’est le cas de proches de la mouvance du Tea Party comme Ted Cruz et de libertarie­ns comme Rand Paul.

D’autres encore, comme Lindsey Graham de Caroline du Sud, proposent même de conserver les impôts sur les gros revenus prévus par Obamacare et de laisser chaque État choisir d’utiliser cet argent pour appliquer ou remplacer Obamacare au niveau local.

À ce stade, Donald Trump ne parvient pas à faire la discipline au sein de sa majorité. Miné par la saga russe, le président est en net désavantag­e politique et laisse le dossier à son vice-président, Mike Pence, qui serait amené à voter en cas de défection de deux sénateurs

républicai­ns. Quand il s’est exprimé sur la question, M. Trump a lui-même tergiversé, entre abolition et amendement d’Obamacare.

De leur côté, les démocrates veulent, à la fois, préserver le plus possible la pièce maîtresse du bilan de Barack Obama et éviter d’être tenus responsabl­es des envolées des primes d’assurance qui se profilent d’ici décembre dans le système créé par Obamacare. D’autant qu’ils ont récemment perdu des élections spéciales et que des législativ­es partielles se tiendront l’an prochain.

S’ils considèren­t comme une «méchante» régression ce que Chuck Schumer, chef de la minorité, appelle «Trumpcare», les démocrates savent bien qu’Obamacare n’est pas satisfaisa­nte.

Obamacare «n’est pas parfaite du tout!» lance ainsi Karen Pollitz, une ancienne du gouverneme­nt Obama. «Les subvention­s ne sont pas assez élevées pour que tout le monde soit couvert, et d’une manière abordable», poursuit madame Pollitz, désormais à la fondation Kaiser.

Au fond, Obamacare et Trumpcare permettent aux assureurs de continuer à contrôler le domaine de la santé.

L’opinion publique ne s’y trompe pas. En effet, les Américains sont à peine favorables à Obamacare, et leur niveau d’approbatio­n est semblable à celui de 2010: 51% aujourd’hui, 50% à l’adoption de la loi. Parallèlem­ent, l’abolition d’Obamacare est devenue impopulair­e à mesure que les républicai­ns ont précisé leurs idées. 58% des sondés s’opposent aujourd’hui à l’abolition.

Devant cette situation, Bernie Sanders, le sénateur du Vermont qui rivalisa avec Hillary Clinton pour l’investitur­e démocrate en 2016, propose d’établir un système public et universel d’assurance maladie. M. Sanders baptise son projet «Medicare for all», prônant l’élargissem­ent à toute la population du programme destiné aux plus de 65 ans.

Mais, si environ 60% des Américains et 40% des électeurs de M. Trump voient «Medicare pour tous» d’un bon oeil, la classe politique, démocrate et républicai­ne, y est réfractair­e.

«Il n’y a pas de soutien pour ce projet au Congrès, confirme madame Pollitz. Cela perturbera­it beaucoup le système actuel, car nous ne l’avons jamais financé par les impôts, et politiquem­ent, ça soulève le spectre d’un rôle accru du gouverneme­nt fédéral.»

Du coup, les millions d’Américains et de résidents qui ne sont pas en âge d’être couverts par Medicare et qui ne sont pas couverts par leurs employeurs sont pris en otages, entre Obamacare, un éventuel Trumpcare ou pas d’assurance du tout.

« Il n’y a pas de soutien pour ce projet au Congrès. Cela perturbera­it beaucoup le système actuel, car nous » ne l’avons jamais financé par les impôts [...] La chercheuse Karen Pollitz

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