Pourquoi Paris accueille-t-il le président Trump ?
Versailles pour Poutine, le tombeau de Napoléon, les honneurs militaires et la tour Eiffel pour Trump. Quand il s’agit de recevoir les croquemitaines de la scène internationale, Emmanuel Macron ne s’interdit rien. De la cuisine étoilée du Jules Verne, situé au deuxième étage du monument où les époux Trump et Macron ont dîné jeudi soir, le guide Michelin souligne le caractère «moderne et créatif, au sommet du patrimoine français».
Le Gault & Millau relève quant à lui qu’une soirée dans l’établissement tenu par Alain Ducasse (soutien de campagne du président) est toujours un «moment préparé longtemps en amont, pour des plaisirs en altitude au coût élevé». Des considérations qu’on pourrait appliquer à la stratégie française derrière l’invitation du plus controversé des présidents américains. En diplomatie comme en gastronomie, tout est affaire de dosage et de timing.
La visite du président américain à Paris coïncide officiellement avec le centenaire de l’engagement des forces américaines dans la Première Guerre mondiale. Un moment fondateur de la politique extérieure étasunienne, qui rompait alors avec leur isolationnisme. Une doctrine à laquelle Trump souhaite d’ailleurs revenir.
Quiconque verrait dans le magnat de l’immobilier une persona non grata en France, à l’instar d’un Jean-Luc Mélenchon, ou se questionnerait quant à la «finalité» d’un tel tapis rouge, comme Stéphane Le Foll, ne ferait qu’alimenter «une polémique un peu indigne », selon le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner.
Peu après l’arrivée de Trump à Paris, Emmanuel Macron s’est «étonné» de ces « protestations », rappelant le «partenariat multiséculaire» qui unit la France et les États-Unis. Et de conclure : «Il ne faut jamais oublier que notre Histoire nous dépasse.»
«Point de convergence»
Si Macron reconnaît des « désaccords » et des «différends» sur le climat et le commerce, les deux chefs d’État partagent « un point de convergence essentiel: la lutte contre le terrorisme». Les États-Unis «sont nos premiers partenaires en matière de renseignement [et] de coopération militaire», a rappelé Emmanuel Macron dans une interview à Ouest France jeudi. La France reste le deuxième contributeur de la coalition contre le groupe État islamique en Irak et en Syrie.
Pour Jean-Yves Le Drian, présent au Conseil franco-allemand de défense qui se tenait jeudi, la visite de Trump est surtout «l’occasion de parler des terrains d’intervention extérieure», en Syrie évidemment, mais aussi en Libye. «Il y a une dimension psychologique, presque une manipulation, dans le traitement de Trump par les équipes de l’Élysée», remarque la chercheuse de l’IFRI Laurence Nardon.
Il y a d’abord eu cette première poignée de main entre les deux hommes, lors du sommet de l’OTAN, fin mai à Bruxelles. Un concassage de phalanges en guise de « moment de vérité», comme l’a complaisamment commenté Macron lui-même, façon de manifester son «refus de petites concessions, même symboliques ». Un numéro qui avait enragé la Maison-Blanche, la presse américaine y voyant même l’une des raisons ayant précipité la sortie des ÉtatsUnis des accords de Paris. Une décision à laquelle Macron avait répondu avec son «Make the Planet Great Again », parodie du slogan de campagne du magnat de l’immobilier.
Après ces deux épisodes où le président français s’était sculpté à bas coût une image de leader du monde libre sur le dos de Trump, Macron a opéré un brusque revirement. Lors du sommet du G20 à Hambourg, le président français a multiplié les effusions et accolades à l’attention de Trump devant les caméras. Jeudi, à la sortie de sa limousine blindée aux Invalides, Trump a eu droit à une poignée de main de bon copain et aux bises maladroites de Brigitte Macron.
«Dans la première phase, Macron a cherché à établir son autorité par la dureté face à Trump le “bully”, le gros dur du lycée, comme le surnommait Hillary Clinton. La candidate disait même que ce type de posture agressive était le seul langage que Trump, impulsif et infantile, comprenne, rappelle Laurence Nardon. Là, nous sommes dans le deuxième temps : Macron veut passer du “bully” au “buddy” [copain] ».
Une stratégie de cour de récré assumée par Castaner: «Soit on dit “il est pas sympa”, on ne l’aime pas et on ne lui parle plus», soit « ce qu’Emmanuel Macron veut faire, c’est-àdire le ramener dans le cercle». Une diplomatie du pervers narcissique, du «j’humilie puis je cajole », qui ne convainc pas tous les spécialistes: «Trump est très difficile à raisonner, et travailler avec son gouvernement est extrêmement compliqué, car même eux se méfient de lui, rapporte un ex-conseiller international de Macron durant la campagne. Je ne pense pas qu’on puisse aller très loin avec lui comme ça… »
Dans les colonnes du New York Times, Macron est devenu le «principal point de contact » des États-Unis avec «l’Europe de l’Ouest», une position acquise «presque par défaut », du fait du mépris affiché d’Angela Merkel pour le milliardaire et de l’affaiblissement de Theresa May après sa récente débâcle électorale. «Macron joue le pragmatisme, à l’inverse de la chancelière allemande est dans la condamnation morale, car elle est en campagne électorale, analyse Laurence Nardon. Cependant, Macron prend un risque: les images de Trump et lui passant les troupes en revue pourraient dilapider un peu de son capital image…» Toujours plus isolé et «déprésidentialisé» par les scandales et sa propre impétuosité, Trump est un actif diplomatique « racheté à la baisse», pour reprendre la formule de l’éditorialiste Bernard Guetta. « Macron prend avantage d’une situation inédite, en bon pragmatique. Il a compris que si idéologiquement, quasiment tout l’oppose à Trump, ce dernier admire les “gagnants”, et c’est là dessus qu’il veut jouer». La conviction d’être un winner, voilà qui parle aux deux hommes.