L’éditorial de Robert Dutrisac sur la colère des sinistrés
Les sinistrés des inondations sont en colère. Les rapports d’inspection, visant les quelque 5000 habitations endommagées, sont produits au compte-gouttes. Dans les zones où les inondations reviennent tous les 20 ans en moyenne, la plupart des propriétaires ne savent pas s’ils pourront reconstruire leur demeure ou si elle sera démolie. Derrière ces drames se cachent des décennies de laxisme et d’irresponsabilité.
Lundi, lors des consultations houleuses sur le projet de décret qui implante des zones d’intervention spéciale (ZIS), les fonctionnaires des ministères des Affaires municipales, de l’Environnement et de la Sécurité publique ont passé un mauvais quart d’heure aux mains de propriétaires mécontents et émotifs. «On veut tous continuer à habiter là où on est. […] On dirait que vous vous êtes juste armés pour nous crisser hors de nos terrains », s’est insurgé un citoyen qui, en ces mots rapportés par Le Devoir, résumait bien la situation.
Le projet de décret indique qu’un bâtiment ne pourra pas être reconstruit, sauf en de rares exceptions, dans une zone inondable dite 0-20 ans si le coût des réparations des dommages qu’il a subis représente plus de 50% de sa valeur foncière. Un rapport d’évaluation des dommages doit être produit pour chacune des résidences. Or, après deux mois d’attente, seulement 400 rapports ont été remis aux propriétaires.
La plupart des résidences sont situées à l’extérieur de ces zones inondables. En principe, leurs propriétaires pourraient amorcer leurs travaux, mais souvent, en raison d’une cartographie déficiente, ils ne savent pas s’ils sont visés ou non par l’interdiction de reconstruire. La confusion règne.
Rappelons que, historiquement, nombre de municipalités au Québec se sont érigées au bord de l’eau. Au cours des siècles, des résidences furent construites en zone inondable 0-20 ans ou dans des zones 0100 ans. On n’hésitait pas, dans les années 1960 et 1970, à remblayer pour agrandir un terrain riverain.
Il faut aussi comprendre que les promoteurs encaissent de juteux profits en vendant des propriétés bordant un cours d’eau. Les municipalités y trouvent leur compte en raison des valeurs foncières nettement plus élevées et des taxes à l’avenant. Il y a eu le cas de Laval avec son maire véreux, Gilles Vaillancourt, qui a encouragé les développements dans des zones inondables, sa propre résidence s’y retrouvant, d’ailleurs. Il faisait la pluie et le beau temps: étrangement, le schéma d’aménagement de sa ville faisait fi des exigences de Québec.
En 2005, le gouvernement s’est doté d’une Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (PPRLPI). Cette politique n’a toutefois pas force de loi; elle n’est pas non plus un règlement. Elle sert de guide aux municipalités dont les schémas d’aménagement sont approuvés par Québec. Or comme la cartographie est déficiente, les schémas d’aménagement le sont également. Le laxisme persiste. Encore une fois, rappelons que les municipalités, à l’instar des promoteurs, ont un intérêt économique dans le développement du potentiel immobilier des rives. Le régime d’impôt foncier les encourage en ce sens.
En cas d’inondation comme celle du printemps dernier, l’essentiel de la note ne va toutefois pas aux municipalités. Trois quarts des frais qu’elles ont engagés seront remboursés par Québec et Ottawa, qui se chargent également d’indemniser les citoyens et les entreprises. Selon certaines évaluations, les deux ordres de gouvernement débourseront la somme record de 350 millions à la suite des crues exceptionnelles. Bref, les municipalités encaissent des impôts fonciers plus élevés en provenance des zones inondables sans assumer le coût associé aux inondations. Un bel exemple d’irresponsabilité érigée en système, à l’heure où l’autonomie municipale est considérée comme une vertu cardinale.
Les changements climatiques viennent compliquer les choses: les crues printanières risquent de s’aggraver, la ligne des hautes eaux de changer, tout comme les contours des zones inondables.
Cet automne, le gouvernement Couillard tiendra un forum sur la gestion des risques liés aux inondations. C’est louable, mais il faut qu’il aille plus loin. Il peut créer une commission qui se penchera sur la gestion et l’exploitation des rives et du littoral ou encore demander au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de procéder à une étude générique à ce sujet. Dans la foulée, Québec devrait songer sérieusement à revoir la fiscalité municipale qui repose sur l’impôt foncier.