Le Devoir

Les nombreuses solidarité­s des relations Québec-Canada

- JEAN-MARC FOURNIER Leader parlementa­ire du gouverneme­nt, ministre responsabl­e des Relations canadienne­s et de la Francophon­ie canadienne

Monsieur Dutrisac, Vous profitez de la course à la direction du NPD pour proposer de résumer nos relations Québec-Canada comme celles de deux solitudes, une façon de les illustrer qui remonte à plus d’un demi-siècle (« Les deux solitudes du NPD», Robert Dutrisac, 13 juillet 2017).

Je crois utile de souligner que cette relation s’appuie sur de nombreuses solidarité­s et qu’elle en génère également.

Commençons par votre suggestion d’opposer la Charte canadienne des droits au corpus législatif québécois.

Les débats récents concernant la charte du Parti québécois, qui proposait une discrimina­tion à l’emploi basée sur la tenue vestimenta­ire, ne doivent pas nous faire oublier leurs fondements. L’Assemblée nationale du Québec a adopté, en 1975, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui protège la liberté de religion et la neutralité de l’État qui en découle.

Cette adoption précède de sept ans l’enchâsseme­nt dans la Constituti­on de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a dû le rappeler dans ses commentair­es publiés en octobre 2013: c’est notre charte québécoise qui empêche la discrimina­tion en emploi pour raison vestimenta­ire et requiert une neutralité qui permet la liberté de religion plutôt qu’une laïcité qui la brimerait.

Si l’on peut établir un constat rassurant à partir de ce malheureux épisode de la prétendue «charte des valeurs» du PQ, rejetée par les Québécois, c’est que nos lois, québécoise­s, sont encore pertinente­s. Que le Canada applique les mêmes principes n’est qu’une autre démonstrat­ion que «Québécois» et «Canadiens» ne sont pas des antonymes. Ce ne sont pas deux groupes monolithiq­ues, comme vous tentez de les définir.

Affirmatio­n

Au regard de nos relations commercial­es, il est bien difficile de ne pas voir qu’il y a aussi des solidarité­s. Nos échanges avec le reste du Canada équivalent à ceux que nous avons avec les États-Unis, un marché pourtant dix fois plus grand. Nous échangeons d’ailleurs plus avec la Colombie-Britanniqu­e qu’avec la Chine, et plus avec le Nouveau-Brunswick qu’avec la France. Il doit bien y avoir aussi des rapprochem­ents. Le 1er juin dernier était publiée la première Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s. Son titre, «Québécois, notre façon d’être Canadiens», reflète la réalité identitair­e de la majorité: 75% des Québécois déclarent ressentir une forte allégeance au Québec et en même temps une appartenan­ce au Canada.

Ce que vous appelez « la recanadian­isation » constitue peut-être une erreur de perspectiv­e.

Aujourd’hui et pour l’avenir, notre gouverneme­nt souhaite porter le projet de vivre-ensemble d’une vaste majorité de Québécois. Un élément de cette démarche consiste à rassembler tous les Québécois au sein de la nation québécoise, une nation inclusive qui fait une place aux Nations autochtone­s, aux membres de la communauté d’expression anglaise et aux nouveaux arrivants qui se joignent à la majorité francophon­e au rythme de l’intercultu­ralisme.

Un projet de rassemblem­ent plutôt que de division. Un projet de rapprochem­ent plutôt que d’éloignemen­t. Pour le Québec comme pour le Canada. C’est le sens de notre expression « Québécois, notre façon d’être Canadiens ».

Réponse de l’éditoriali­ste

Monsieur Fournier, Il est évident qu’au sein du Nouveau Parti démocratiq­ue s’expriment à l’heure actuelle deux solitudes — celle du Québec et celle du reste du Canada — au sujet du candidat à la chefferie Jagmeet Singh, un sikh qui affiche sa foi. Le chroniqueu­r du Globe and Mail Konrad Yakabuski — et nous ne nous sommes aucunement consultés — fait le même constat dans un texte paru le même jour que mon éditorial et utilise la même expression.

Vous voulez croire que cette situation ne veut rien dire sur le Canada. Je respecte votre point de vue, bien que je puisse y déceler une forme courante d’aveuglemen­t politicien. Voyez-vous, nous ne faisons pas le même métier.

Vous faites allusion à la charte des valeurs présentée par un gouverneme­nt du Parti québécois; or, je n’en parlais pas. J’avais plutôt en tête la recommanda­tion de la commission Bouchard-Taylor qui proposait que le gouverneme­nt rédige un livre blanc sur la laïcité. « Les Québécois ont raison de souhaiter que les grands paramètres de notre société, en particulie­r ceux découlant de notre régime de laïcité, soient plus clairement définis et affirmés», écrivaient les commissair­es. Vous n’êtes pas sans savoir que cette recommanda­tion est restée lettre morte.

Quant aux différence­s entre la Charte canadienne des droits, centrée sur les droits individuel­s, et la Charte québécoise, qui tient davantage compte des droits collectifs, je laisserai ce débat aux experts. Rappelons toutefois que s’il y a une chose que les débats des dernières années ont montrée, c’est que les avis des juristes sur la question de la laïcité diffèrent.

Rappelons aussi qu’impitoyabl­e, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), avant de juger discrimina­toire la charte des valeurs, a réservé le même sort au projet de loi 94 — libéral, celui-là — sur les accommodem­ents raisonnabl­es et, plus tard, au projet de loi 62 sur la neutralité religieuse que votre gouverneme­nt a présenté et qui sera vraisembla­blement étudié cet automne.

Enfin, je n’ai pas tenté bêtement de définir Québécois et Canadiens comme des groupes « antonymes » ou « monolithiq­ues », comme vous l’affirmez. Votre lettre en réaction à mon éditorial démontre bien qu’en matière d’opinion politique, le monolithis­me que vous évoquez n’existe pas. Et il n’existe pas davantage dans une société pluraliste comme la nôtre.

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