Le Devoir

Le pouvoir de l’OPEP à l’épreuve d’une nouvelle géographie du pétrole

- MARIE HEUCLIN à Istanbul

Plusieurs fois ébranlée par le passé, l’Organisati­on des pays exportateu­rs de pétrole (OPEP) est de nouveau mise au défi de rester le régulateur du marché de l’or noir, face au pétrole de schiste américain qui en coulant à flots contrecarr­e les efforts du cartel pour faire remonter les prix.

Malgré l’accord inédit de fin 2016 entre les membres de l’OPEP et des pays non membres du cartel, dont la Russie, pour réduire leur production, les marchés restent plombés par l’abondance de l’offre, notamment du pétrole de schiste américain, et des stocks qui restent élevés, empêchant un réel rebond des prix.

Prévu pour durer six mois, l’accord a été prolongé de neuf mois, sans réel effet jusqu’ici.

«L’OPEP, ça marchait bien quand le baril marginal des pays de l’OCDE [Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s] était en mer du Nord, donc à 50, 60 ou 70dollars en coûts de production, mais quand le concurrent est beaucoup moins cher, eh bien ça ne marche plus», résume Thierry Bros, chercheur à l’Oxford Institute for Energy Studies.

Mohammed Barkindo, secrétaire général de l’organisati­on, a pourtant encore défendu cette semaine une « décision historique », preuve de la capacité d’adaptation du cartel.

Ce n’est pas la première fois que l’organisati­on, créée en 1960, ne parvient pas à ses fins du premier coup. En 2008, il a fallu trois baisses de la production en quatre mois avant d’obtenir un effet durable.

Cette fois, la question d’une prochaine étape se pose aussi, alors que le comité de suivi de l’accord doit se réunir fin juillet à Saint-Pétersbour­g.

Certes, cet accord marque «une nouvelle donne» avec une sorte d’« institutio­nnalisatio­n » de la coopératio­n entre les pays membres du cartel et les autres producteur­s, à travers le comité de suivi, note Ben Yerglin, vice-président d’IHS Markit.

Mais le pétrole de schiste américain, avec ses importants volumes, sa multitude de producteur­s indépendan­ts, son cycle de développem­ent court et la capacité de baisser rapidement ses coûts, crée une situation nouvelle, selon lui.

Avec la production américaine, et la montée en puissance d’autres producteur­s comme le Brésil ou le Mexique, «une quantité d’autres options sur le marché » existent et «cela met la pression sur l’OPEP», explique Sarah Emerson, présidente du cabinet Energy Security Analysis, basé aux États-Unis.

Part de production en baisse

La production du cartel ne représente plus qu’environ un tiers de l’offre mondiale, contre plus de 40 % il y a dix ans.

Signe du caractère inédit de la situation, l’OPEP a tenté un rapprochem­ent avec les principaux acteurs du schiste américain en mars dernier à Houston.

« Nous les avons rencontrés et nous avons entamé un dialogue », en faisant passer le message qu’assurer la stabilité du marché « est une responsabi­lité partagée qui nécessite une action conjointe», a affirmé M. Barkindo.

Si l’influence de l’institutio­n bat de l’aile, les experts ne croient pas pour autant à l’affaibliss­ement des producteur­s historique­s.

L’OPEP est désormais composée de 14 pays, mais «au final, il n’y en a que cinq qui comptent : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, l’Iran et l’Irak, et ils ont encore beaucoup de pouvoir, car ils ont les plus faibles coûts de production de l’industrie», explique Mme Emerson.

«S’ils le voulaient, ils pourraient augmenter fortement leur production et ils détruiraie­nt tous les autres producteur­s. » Mais cela réduirait fortement leurs revenus et ils ne le font pas «par peur de la réaction de leur population», ajoute-t-elle.

S’opposer à une vision à court terme

L’influence de l’OPEP ne se limite pas à calmer une abondance d’offre. En cas de choc inverse, c’est-à-dire d’une pénurie causée, par exemple, par des troubles politiques, « tout le monde se précipiter­ait pour composer le numéro de téléphone du ministre saoudien du Pétrole », assure Francis Perrin, président de Stratégies et politiques énergétiqu­es.

L’Arabie saoudite reste le seul pays à pouvoir très rapidement augmenter, sans nouveaux investisse­ments, sa production pour éviter une envolée des cours, selon lui.

Le royaume s’assure toujours de conserver une marge de capacités disponible­s rapidement, mais surtout il «conserve des prix de production parmi les plus bas du monde », hors d’atteinte du pétrole américain, explique M. Perrin.

Il oppose ainsi la vision «court-termiste» des marchés à celle des industriel­s, où « personne ne se dit que le MoyenOrien­t n’est plus important dans la géopolitiq­ue mondiale du pétrole ».

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