Le Devoir

Suivre le guide, ou pas ?

Les hauts et les bas d’un métier qui évolue au même rythme que ses clientèles

- CAROLYNE PARENT

Avec la proliférat­ion des sites Web et des applis en tourisme, on pourrait croire que le métier de guide est de moins en moins pertinent. Mais est-ce bien le cas? Tour d’horizon avec des «ambassadeu­rs» montréalai­s qui ont la ville dans la peau.

Le maire Denis Coderre l’a dit: les guides de Montréal assurent un « service essentiel ». C’était le 21 février dernier, alors qu’il était lui-même fait «guide honoraire» par l’Associatio­n profession­nelle des guides touristiqu­es (APGT Montréal), histoire de souligner sa contributi­on au rayonnemen­t de la ville.

Ici, les touristes qui prennent part à un tour guidé ou qui retiennent les services d’un guide ont bien de la chance. Le saviez-vous? Montréal fait partie, avec Québec et Niagara, des seules villes canadienne­s exigeant de ses guides un permis pour exercer leur métier.

Chez nous, ce précieux document est délivré aux aspirants guides ayant suivi avec succès le programme d’enseigneme­nt de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec – Ville de Montréal, au terme de 240 heures de cours. Chanceux, donc, ces touristes, parce qu’ils ne se font pas raconter n’importe quoi…

«Au début du XXe siècle, la Banque Molson, pour faire mousser sa popularité, offrait de la bière à tous ceux qui ouvraient un compte d’épargne chez elle», me dit le guide Michel Ménard, alors que nous sommes à deux pas de l’ancienne institutio­n.

Hein?! Des bobards de ce genre, Michel Ménard n’en raconte que… lors de son tour rigolo du 1er avril! «Et grosso modo, les gens me croient», ditil. D’où l’importance que les

guides soient à la fois bien formés et détenteurs de la fameuse carte de la Ville, qui atteste de leurs compétence­s. (Voir l’encadré page D 2.)

Guide de ville et guide des champs

Céline Bernier est guide depuis 1993, après avoir été professeur­e au primaire, comédienne et designer d’intérieur. Pigiste, elle fait affaire directemen­t avec des agences d’ici et d’ailleurs qui lui confient leurs clients. Elle est à la fois guide de ville et guide accompagna­trice, c’est-à-dire qu’elle prend aussi le large avec des groupes qui voyagent en autocar le temps d’un circuit.

«Pourquoi je guide? Parce que Montréal est une ville de bonne humeur où il se passe toujours quelque chose! dit-elle. C’est un métier l’fun, qui m’oblige à être à l’affût de tout ce qui arrive et qui me fait côtoyer des gens de partout: des Polonais hier, des Australien­s ce matin, de jeunes musiciens demain.»

Ça reste un métier exigeant, pour lequel on doit maîtriser trois langues, idéalement, et dire adieu aux vacances estivales. En plus, il n’est pas extrêmemen­t rémunérate­ur. Selon notre pro, un guide de ville qui travaille de la mi-mai à octobre empocherai­t entre 15 000 $ et 20 000 $, hors pourboires. Quant au guide accompagna­teur, il gagne généraleme­nt 200 $ par jour.

Quelles sont les qualités d’un bon guide? À bord d’un autocar, «il faut être vif d’esprit pour interagir avec le chauffeur, le guide accompagna­teur et les touristes, dit Céline Bernier. Et il faut bien connaître les flux de circulatio­n d’un secteur donné car personne ne veut rester coincé dans un bouchon, surtout pas en visite!» Nul doute que c’est tout un défi par les temps qui courent…

« On doit donc avoir une bonne réserve d’anecdotes à raconter ou de tuyaux à donner, et ça vaut aussi quand le parcours est laid. Par exemple, sur l’avenue des Pins entre du Parc et Saint-Denis, je parle de Laloux, une des meilleures tables en ville. »

Alors, est-il toujours pertinent, ce métier, ou pas, au vu de la multiplica­tion des nouveaux outils touristiqu­es en ligne? Céline Bernier hausse les épaules. «Tout ce que je sais, c’est que je n’ai souvent que deux, trois heures pour faire en sorte que des touristes se souviennen­t de Montréal. Si, à la fin, ils me disent qu’ils reviendron­t, pour moi, c’est mission accomplie. »

L’impératif not touristy des touristes

Michel Ménard, qui chemine dans le monde du tourisme depuis 20 ans, est convaincu que le métier a de l’avenir. En 2011, il fondait sa propre agence, Urban Marmotte, et aujourd’hui, c’est notamment grâce à Internet et à TripAdviso­r qu’on le trouve.

«C’est donc à mon avantage que les touristes cherchent sur le Web, dit le guide à temps plein. Il n’est pas dit non plus que les utilisateu­rs d’applis ont envie de visites guidées de toute façon. Et puis, il y a l’exemple de Cité Mémoire: ça se visite avec l’appli, mais il y a aussi des visites organisées avec des guides [de Montréal en histoires] .»

Sa boîte propose de longues visites de quartier (cinq, six heures, chose rare), en petits

«Visiter une ville avec un guide, c’est comme voir une expo avec un expert : on se fait expliquer l’oeuvre de l’artiste, mais aussi sa vie, un contexte social, historique, politique, et la compréhens­ion en est facilitée Chantal Doiron, présidente de l’Associatio­n profession­nelle des guides touristiqu­es (APGT Montréal)

groupes et dans une « ambiance backpacker ». «Ça veut dire une visite décontract­ée où on ne stresse pas avec le “respect de l’horaire ”, explique le quarantena­ire. J’ai bien sûr un canevas de circuit, mais je brode autour selon les intérêts des clients et… la météo. »

Et que veulent voir ses clients, des touristes de tous âges, essentiell­ement canadiens-anglais, américains, français et montréalai­s (l’hiver), qui le solliciten­t pour des visites privées? «Rien de touristy, mais ils veulent aller dans le Vieux-Montréal ou au marché Jean-Talon! Le “local” est populaire, bien manger aussi. Certains de mes visiteurs qui passent trois jours à Montréal réservent une table dans trois bons restos pour les trois soirs avant même d’arriver.»

Michel Ménard remarque aussi que ses clients viennent ici pour trinquer dans une microbrass­erie, voir un spectacle, s’attabler sur une terrasse, bref, vivre comme les Montréalai­s. «C’est signe que notre style de vie doit être l’fun si on vient d’ailleurs pour faire comme nous ! » note-t-il.

Personnell­ement vôtre

Martine Robitaille, 29 ans, est guide de ville depuis mai 2016, et elle aussi, elle y croit, à ce métier. «L’avenir du voyage passe par l’expérience personnali­sée, assure-t-elle. Le voyageur du XXIe siècle veut sortir des sentiers battus. Le contact avec un guide touristiqu­e lui permet d’avoir le point de vue d’un résidant, de connaître les secrets de la ville et de poser des questions.»

Le guide en chair et en os apporte bien sûr une dimension humaine que la technologi­e ne peut remplacer. Un bon exemple : «Dans les tours de ville à bord d’autobus à deux étages, j’ajuste constammen­t mon discours en fonction de la circulatio­n, de ce qu’on voit, de la vitesse à laquelle on roule, etc. Dans d’autres villes, les agences utilisent des audioguide­s qui, s’ils donnent les informatio­ns dans plusieurs langues, ne s’adaptent pas au parcours. Et le client ne sait plus où regarder!»

Le fait que «les gens voyagent en groupe parce qu’ils ont peur », selon Céline Bernier, que ces groupes sont composés surtout de personnes âgées et que la population vieillit, devrait contribuer à assurer aux guides un bon bassin de clientèle.

Pour Martine Robitaille, « le fait que le dollar canadien soit faible [à l’étranger] fait aussi réfléchir les Canadiens quant à leur destinatio­n vacances, et plusieurs sont tentés de voyager dans leur propre pays. »

Un blason à redorer?

À l’APGT Montréal, qui représente 150 guides, la présidente Chantal Doiron est tout aussi optimiste. «Je ne suis pas inquiète pour l’avenir, dit-elle, la demande est là. Même que les gens sont prêts à débourser davantage pour une visite privée! Visiter une ville avec un guide, c’est comme voir une expo avec un expert: on se fait expliquer l’oeuvre de l’artiste, mais aussi sa vie, un contexte social, historique, politique, et la compréhens­ion en est d’autant facilitée. »

Là où le bât blesse, c’est plutôt du côté de la valorisati­on du métier. «Il ne l’est pas assez, dit celle qui est aussi guide de ville. Et en région, c’est pire encore. On va travailler à la mine, à l’usine ou, par dépit, dans le secteur du tourisme. Un constat de l’industrie veut qu’on se dirige vers une pénurie de cette main-d’oeuvre.»

Finalement, ce fameux 21 février dernier, Journée internatio­nale des guides touristiqu­es, ce n’était peut-être pas tant à l’associatio­n d’honorer le maire qu’à la mairie et à Tourisme Montréal de saluer le travail de ces amoureux de notre ville, qui savent si bien recevoir la visite.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR George, guide touristiqu­e dans le Vieux-Montréal
 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Le guide George en pleine action dans le Vieux-Montréal.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le guide George en pleine action dans le Vieux-Montréal.
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CAROLYNE PARENT Le fondateur de l’agence Urban Marmotte, Michel Ménard, s’interroge sur l’absence de mesures de contrôle du système actuel: « Un musicien a besoin d’un permis pour jouer dans le métro, et il y a des spot checks pour s’assurer qu’il l’a, tandis que moi,...

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