Le Devoir

Les patiences du jazz par deux Québécois et un Belge

Mardi 16 juin est un disque qui frôle le chef-d’oeuvre

- SERGE TRUFFAUT

Mardi 16 juin est tout d’abord un objet musical qui se présente sous les auspices du mystère. Car sur la pochette, on aperçoit un véhicule empruntant une courbe brumeuse du Grand Nord ou de Scandinavi­e. Allez savoir ! Le milieu de cette couverture est barré par les noms écrits en petits caractères de deux musiciens respectés et bien connus dans nos contrées : le contrebass­iste Michel Donato et le batteur Pierre Tanguay. À côté de ceux-ci, le nom d’un pianiste que l’on ne connaissai­t pas: Jean-Philippe Collard-Neven.

Après un clic par-ci, un clic par-là, après avoir questionné le grand tout du «ouaibe», on a compris que Collard-Neven est un musicien belge. On a noté qu’il avait un contrat avec l’étiquette Igloorecor­ds, qui nous a envoyé ce Mardi 16 juin.

Après quoi, on a relevé que toutes les pièces enregistré­es par ce trio étaient signées par les membres de ce dernier. On insiste. Ici, l’originalit­é ou plutôt l’inédit a eu le pas sur un énième hommage à Monk ou une sempiterne­lle redite du Stardust d’Hoagy Carmichael ou du Cry Me a River d’Arthur Hamilton. À ce propos, il faut bien reconnaîtr­e que les impératifs de marketing imposés à des centaines de musiciens relèvent désormais de l’asphyxie. De quoi (bis) ? De l’art, évidemment.

Par la suite, on a écouté cet album conçu à l’aune de la frugalité. Et là, on est tombé en bas de sa chaise. La très haute. Celle des cieux. Bref, on est tombé de très haut et sans aucune, c’est à relever, encombre. Car ce disque frise le chef-d’oeuvre. En d’autres termes, ce Mardi 16 juin est fort rare.

Collard-Neven, Donato et Tanguay nous ont rappelé les grandes heures du lyrisme sans les mièvreries. Ils nous ont rappelé quelque chose qui fait penser illico au parti pris esthétique de Bill Evans, de Tommy Flanagan ou encore de Roland Hanna. Autrement dit, la forme de leur propos musical se conjugue avec le souci pour la beauté. Avec l’effort consenti pour sculpter chaque note à l’enseigne du dénuement.

Pour ce qui est maintenant du contenu, Mardi 16 juin nous a rappelé un sommet parmi les sommets de l’improvisat­ion, soit ce double album réalisé par le pianiste Chick Corea, le contrebass­iste Miroslav Vitous et le saint patron des batteurs Roy Haynes. En 1982, ces messieurs avaient publié sur étiquette ECM un enregistre­ment intitulé tout simplement Trio Music et qui, le temps passant, appartient désormais à la catégorie de l’intemporel.

Mardi 16 juin s’avère un écho actuel à ce Trio Music. Tout dans ce disque est à prendre et à savourer. Rien n’est à jeter. S’il fallait donner un exemple du jazz de nuit ou plus exactement des matins blêmes, alors l’objet musical concocté par CollardNev­en, Donato et Tanguay conviendra­it à merveille.

Si vous avez apprécié le show que le pianiste Georges Cables a donné à l’Upstairs, alors vous serez peut-être intéressé par les suggestion­s de disques suivants: Manhattan Symphony avec Dexter Gordon sur CBS/Sony, The Trip avec Art Pepper sur Galaxy, Landscape avec Pepper sur Galaxy également, The Roadgame avec Pepper toujours sur Galaxy, Friday Night at the Village Vanguard avec Pepper, mais sur Contempora­ry, The Call of the Wild and Peaceful Heart en tant que pianiste du supergroup­e The Cookers sur Smoke Sessions, les trois albums intitulés Live at the Jazz Standard avec Frank Morgan, Icons & Influences, ainsi qu’In Good Company deux albums de Cables en trio parus sur étiquette High Note.

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