Le Devoir

Un Warhol dans ma tête

- ANDRÉ LAVOIE

Comédie dramatique de Bruce McDonald. Avec Dylan Authors, Julia Sarah Stone, Molly Parker, Allan Hawco. Canada, 2016, 85 min.

Ses premiers films (Roadkill, Highway 61) évoquaient les plaisirs imprévisib­les de la route, avec déjà une belle bande de weirdos qui ont marqué l’imaginaire du cinéma canadien-anglais. Depuis bientôt 30 ans, Bruce McDonald, lui, se faufile entre les genres, du film musical (Hard Core Logo) au cinéma d’horreur (Pontypool), aimant jouer la carte de l’imprévisib­le.

Il réussit encore à nous surprendre dans Weirdos, un autre road movie, mais plus mélancoliq­ue, voire sentimenta­l, avec quelques touches oniriques dominées par Andy Warhol, ou plutôt une vision spirituell­e de celui-ci guidant les pas d’un adolescent à l’identité confuse (pardonnez le pléonasme). À 1’été 1976 dans un petit village de la Nouvelle-Écosse, à la confusion s’ajoute un inévitable ennui, celui qui pousse à vouloir prendre le large vers la grande ville, même si on parle ici de Sydney…

Kit (Dylan Authors) a de nobles raisons de vouloir s’y rendre, cherchant à retrouver sa mère, sans bien sûr dire un mot à son père (Allen Hawco) de ce voyage improvisé en auto-stop avec sa copine Alice (Julia Sarah Stone), obsédée par l’idée de passer aux choses sérieuses. Le garçon n’est pas si pressé, et sa fixation pour les excentrici­tés d’Andy Warhol, lisant le magazine Interview comme d’autres les Évangiles, n’échappe pas à sa compagne de voyage. Arrivés à destinatio­n après bien des rencontres déroutante­s, Kit découvre sa mère (Molly Parker, qui en fait des tonnes, et on en redemande) dans son élément naturel, repaire d’artistes, et de désaxés, où elle semble régner en déesse, capable de camoufler sa fragilité émotive, mais un temps seulement. L’adolescent perdra alors ces illusions, mais gagnera forcément en maturité.

Cette aventure sinueuse aux mille détours amusants, farcie de clins d’oeil sur l’ambiguïté sexuelle et la singularit­é canadienne (comme un contrepoin­t, l’action se déroule un 4 juillet, avec les images télévisuel­les d’une parade «qui n’est pas la nôtre», précise un des personnage­s, marqué par la guerre), se décline dans un somptueux noir et blanc. Tout cela rehausse d’un cran le caractère résolument nostalgiqu­e d’un film d’époque dont les bornes temporelle­s sont surtout musicales, une belle habitude chez Bruce McDonald.

Comme il a depuis longtemps une feuille d’érable tatouée sur le coeur, point de disco new-yorkais ou de protest songs californie­nnes. Dans une succession de petits moments de grâce, il convie Gordon Lightfoot (Summer Side of Life), Patsy Gallant (From New York to L.A.), Anne Murray (Snowbird), et tant d’autres, suite de points d’orgue le long de cette route pas banale empruntée par ces adolescent­s en cavale, somme toute assez gentille, où même les policiers sont débonnaire­s.

La sincérité de ce récit d’apprentiss­age prend sa source dans les souvenirs personnels du scénariste Daniel MacIvor, qui a trouvé en McDonald un traducteur respectueu­x et inspiré. Le cinéaste aux allures de cowboy délinquant prouve, une fois encore, son assurance et sa maturité, des contradict­ions qui font sa singularit­é.

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EYESTEELFI­LMS Weirdos raconte les périples d’un adolescent à l’identité confuse.

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