Le Devoir

L’étrange Wyoming de Craig Johnson

La dent du serpent allie secte rétrograde et poignée d’escrocs dans un tout explosif

- MICHEL BÉLAIR

On a déjà dit ici, à plusieurs reprises, le plaisir sans cesse renouvelé de voir arriver un nouveau livre de Craig Johnson. L’oeuvre de cet ancien prof d’université-policier new-yorkais-forgeron-« rodéiste»-charpentie­r, etc. devenu éleveur de chevaux dans son ranch de Ucross, dans les hauteurs du Wyoming… est une bénédictio­n.

On retrouvera ici avec bonheur sa galerie de personnage­s absolument inimitable­s tournant autour de Walt Longmire, shérif d’Absaroka, le plus petit comté du Wyoming et de tous les États-Unis. Son ami le plus proche, Henry, dit l’Ours ou la Nation Cheyenne; Vic, son assistante bien aimée partisane des Flyers de Philadelph­ie; et le Chien, son compagnon fidèle.

Avec la chaîne des Bighorn Mountains comme horizon, le shérif et sa bande se retrouvero­nt plongés malgré eux dans une histoire invraisemb­lable mettant en scène une secte et une poignée d’escrocs installés près du Teapot Dome…

Étrangetés en série

Dans ce décor somptueux que Johnson sait décrire comme pas un, c’est l’apparition d’un jeune adolescent un peu étrange qui va mettre le feu aux poudres. Le shérif Longmire constate bien vite que le jeune homme est illettré et qu’il semble sortir tout droit du milieu du XIXe siècle. Comme pour lui prouver qu’il a raison, surgit alors un personnage étrange, qui prétend être Orrin Porter Rockwell, ami personnel de Joseph Smith, le fondateur du mouvement adventiste des saints des derniers jours. Rockwell aurait donc près de 200 ans…

C’est loin d’être la seule étrangeté dans cette histoire où les personnage­s hors du commun se multiplien­t en série. Comme ce Roy Lynear, chef de la secte polygame de l’Église apostoliqu­e de l’Agneau de Dieu, un personnage «hénorme» tout droit sorti de Dunes et qu’on imaginerai­t facilement flotter, à la Harkonnen, dans un gigantesqu­e fauteuil à ras du sol. Ou le vieux Van Ross, cet impossible grand-père naturiste qui construit des soucoupes volantes en aluminium en attendant le Jugement dernier. Mais il y a surtout, autour du Teapot Dome — comme il y a quelques décennies autour de Waco —, une dangereuse bande de détraqués armés jusqu’aux dents qui protège un territoire clôturé.

De quoi, sinon de qui? Et pourquoi ? Le shérif Longmire devra défoncer quelques barrières avant d’avoir un soupçon de réponse. Derrière les agissement­s rétrograde­s de la secte et les machinatio­ns d’anciens agents secrets mal intentionn­és, on ne saisira avec lui l’ampleur de l’opération qu’à la toute fin, quand tout explosera dans les feux de l’enfer.

Au-delà de cette intrigue hallucinan­te, on sera frappé ici par l’écriture dense et lumineuse de Craig Johnson — traduite encore une fois de façon somptueuse par Sophie Aslanides — , tout comme par son humour exceptionn­el et sa tendresse profonde à l’égard de ses personnage­s. C’est probableme­nt, avec Tous les démons sont ici paru en 2015, son livre le plus achevé et le plus lyrique.

Et même quand la violence menace tout autour, on tombe, partout au fil des pages, sur des perles comme: «La lune était en train de se coucher, soulevant des marées qui n’existaient plus, mais on sentait l’allégresse de sa lumière qui tombait sur les rochers.» Ahhh, le Wyoming…

LA DENT DU SERPENT

Craig Johnson Traduit de l’américain par Sophie Aslanides Gallmeiste­r — Noire Paris, 2017, 370 pages

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GALLMEISTE­R Dans son plus récent opus, Craig Johnson offre aux lecteurs une plume dense et lumineuse.

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