Le Devoir

Gaz Métro financé par le Fonds vert

Une aide de 20 millions octroyée par Québec lui permettra d’étendre son réseau de distributi­on

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt Couillard vient d’accorder 20 millions de dollars provenant du Fonds vert à Gaz Métro, pour lui permettre d’étendre son réseau de distributi­on.

Cette subvention à une entreprise qui distribue de plus en plus de gaz de schiste s’inscrit dans le cadre de la «transition énergétiqu­e», affirment les libéraux. Il s’agit au contraire d’une décision injustifié­e, réplique l’ancien coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es.

Coup sur coup, le gouverneme­nt a annoncé l’octroi d’une «aide financière maximale» de 6,7 millions, puis une autre de 13,2 millions à Gaz Métro. Ces fonds doivent servir à deux projets d’extension du réseau de distributi­on de gaz naturel, l’un dans la région de Thetford Mines et l’autre en Beauce. En moyenne, Québec paie 75 % de la facture des projets.

Dans les deux cas, le gouverneme­nt est allé puiser dans le Fonds vert pour financer l’installati­on de nouvelles conduites pour transporte­r le gaz naturel vers de futurs clients de Gaz Métro. La constructi­on devrait débuter à l’été 2018, selon ce que précise l’entreprise.

«La grande majorité des clients seront commerciau­x, industriel­s ou institutio­nnels, dans un premier temps», ajoute sa porte-parole, Catherine Houde.

« Nous sommes tous appelés à contribuer à une transition vers une plus grande utilisatio­n d’énergies renouvelab­les, et le gaz naturel est une avenue énergétiqu­e efficace pour nous aider à accélérer cette transition, a fait valoir le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, au moment de l’une des annonces des derniers jours. C’est avec cet objectif en tête que notre gouverneme­nt poursuit ses interventi­ons en vue de favoriser l’extension du réseau de gaz naturel au Québec. »

On ne sait toutefois pas, pour le moment, quels seront les éventuels impacts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Selon ce que précise le cabinet de M. Arcand, en réponse aux questions du Devoir, le gaz naturel «pourrait jouer un rôle de plus en

plus important dans le soutien au développem­ent économique et dans la compétitiv­ité des entreprise­s québécoise­s sur la scène internatio­nale ». On ne sait cependant pas, pour le moment, quelles entreprise­s utiliseron­t ce gaz.

«Nous

n’avons aucun moyen d’évaluer la pertinence de l’investisse­ment, par rapport aux objectifs du gouverneme­nt Normand Mousseau, ancien coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es

Décision injustifié­e

Pour l’ancien coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es, Normand Mousseau, le gouverneme­nt ne fait tout simplement pas la preuve que ces investisse­ments sont justifiés dans le cadre de son Plan d’action 20132020 sur les changement­s climatique­s.

«Nous n’avons pas d’informatio­ns pour ces investisse­ments du Fonds vert. Quelles seront les réductions de gaz à effet de serre? Est-ce que cet investisse­ment de 20 millions aurait été plus efficace ailleurs? Nous n’avons aucun moyen d’évaluer la pertinence de l’investisse­ment, par rapport aux objectifs du gouverneme­nt», insiste-t-il.

Puisque le Québec espère réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 37,5% d’ici 2030, M. Mousseau estime d’ailleurs que « la solution n’est pas de passer du mazout au gaz naturel, mais plutôt de passer à l’électricit­é ».

Selon lui, le fait d’investir des millions dans une extension du réseau de gazoducs est donc une erreur. «On construit une infrastruc­ture qui doit être utilisée pour au moins 50 ou 60 ans, alors que nous devons réduire notre consommati­on d’énergies fossiles, et donc éventuelle­ment cesser d’utiliser cette infrastruc­ture.»

La gestion du Fonds vert a fait l’objet de nombreuses critiques au cours des dernières années. Des documents du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC) ont aussi révélé ce printemps que des centaines de millions y ont été investis, mais en ne générant que de faibles baisses d’émissions de gaz à effet de serre.

Qui plus est, le gouverneme­nt a accordé de l’aide provenant du Fonds vert à la pétrolière Suncor, un important exploitant des sables bitumineux, à Canadoil Forge, qui fabrique des portions de pipelines pour TransCanad­a, à la multinatio­nale Alcoa, à la minière Arcelor Mittal ou encore à Bombardier.

Gaz de schiste

Par ailleurs, Gaz Métro distribue de plus en plus du gaz «non convention­nel», soit du gaz de schiste ou provenant de «réservoirs étanches». L’exploitati­on de ces ressources, qui a soulevé une vive controvers­e au Québec, nécessite des opérations de fracturati­on hydrauliqu­e.

Est-ce que l’entreprise est en mesure de préciser quelle est la proportion de ce type de gaz naturel dans son réseau ?

«Il n’est pas, à l’heure actuelle, possible de pouvoir le relier à sa source de production et donc, à son procédé d’extraction», indique Catherine Houde. Elle explique qu’il existe «de nombreuses interconne­xions en Amérique du Nord sur le réseau gazier». Il n’est donc pas possible de connaître la « provenance exacte » du gaz qui circule dans le réseau au Québec.

L’entreprise admet toutefois que le gaz de schiste est de plus en plus présent. « Il est possible d’affirmer que, comme il y a de plus en plus de production non traditionn­elle de gaz naturel en Amérique du Nord, la proportion de ce type de gaz naturel qui entre au Québec va en augmentant. »

Les prévisions sur la production de gaz naturel provenant de l’Office national de l’énergie et de l’Energy Informatio­n Administra­tion, aux États-Unis, indiquent que le gaz de schiste et celui des réservoirs étanches continuero­nt d’augmenter au cours des prochaines années. Il devrait représente­r entre 70% et 90% de la production d’ici 2035.

Or, l’exploitati­on de ces ressources « soulève de nombreuses questions environnem­entales», souligne Normand Mousseau.

Selon différente­s études publiées au cours des dernières années, le gaz de schiste pourrait être nettement plus polluant que le gaz naturel convention­nel. L’exploitati­on par fracturati­on émet en effet d’importante­s quantités de méthane, un gaz à effet de serre qui peut être au moins 30 fois plus puissant que le CO2, selon le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Outre les impacts climatique­s, cette exploitati­on peut nécessiter jusqu’à 10 millions de litres d’eau pour chaque forage. Certains redoutent aussi la contaminat­ion des sols et des eaux souterrain­es.

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