Le Devoir

Le profil du nouveau président du CRTC soulève des inquiétude­s

- PHILIPPE PAPINEAU

Ottawa a confirmé mardi que le vétéran de l’industrie de la téléphonie et des communicat­ions satellites Ian Scott devenait le nouveau président du Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC). Plusieurs observateu­rs se sont toutefois inquiétés de son manque de connaissan­ce du monde de la création.

Le gouverneme­nt a aussi nommé Caroline J. Simard à titre de vice-présidente du volet radiodiffu­sion du CRTC, ainsi que Christiann­e M. Laizner à titre de vice-présidente par intérim, au volet télécommun­ications.

Le nouveau président Ian Scott entrera en fonction le 5 septembre, pour un mandant de 5 ans. Peu connu du public, le Montréalai­s bilingue a passé une grande partie de sa carrière dans l’industrie des télécommun­ications. Diplômé de l’Université McGill après avoir étudié au collège Dawson, M. Scott était depuis huit ans chez Télésat Canada, un opérateur de satellite de télécommun­ications, où il était directeur général de la réglementa­tion et des affaires gouverneme­ntales. L’homme a aussi travaillé chez Call-Net et comme vice-président chez Telus.

Retour au CRTC

Le communiqué officiel diffusé par Patrimoine canadien affirme que M. Scott possède «une expérience approfondi­e» dans le secteur public. En début de carrière, il a travaillé au Bureau de la concurrenc­e canadien et au CRTC. En 2007 et 2008, il était retourné au Conseil comme responsabl­e des affaires réglementa­ires, dans le cadre d’un programme d’échange entre les secteurs publics et privés.

Ce dernier passage avait fait l’objet d’une enquête de la CBC, qui avait dévoilé que Scott ne s’était pas retiré du registre des lobbyistes pour Telus, son précédent employeur, pendant la durée de ce mandat public. M. Scott avait plaidé qu’il avait respecté toutes les règles.

Un homme de l’industrie

Le professeur de droit à l’Université d’Ottawa et analyste des questions médiatique­s et réglementa­ires Michael Geist estime que le C.V. de M. Scott révèle une grande expérience, «mais un domaine où il n’est pas très expériment­é, c’est dans les sujets d’intérêt public, et c’est pour ça que certains groupes vont scruter son travail pour s’assurer qu’il entend leur perspectiv­e également ».

L’organisati­on OpenMedia, qui milite pour qu’Internet reste ouvert, à bas prix et sans surveillan­ce, s’est dite «très inquiète», selon sa responsabl­e des communicat­ions, Meghan Sali. «Surtout après les années de Jean-Pierre Blais, qui a ouvert le CRTC aux commentair­es des Canadiens, et qui a mis les consommate­urs au sommet de ses priorités. On se demande si ça ne va pas marquer un changement dans l’attitude du CRTC. On a l’impression que c’est un retour en arrière de plusieurs années.»

L’Associatio­n canadienne des producteur­s médiatique­s, quant à elle, a souligné l’excellence du parcours de M. Scott, mais a demandé du même souffle au gouverneme­nt que les deux postes toujours vacants au CRTC soient pourvus par des commissair­es issus de la production indépendan­te en cinéma, en télévision ou en médias numériques.

Un acteur de longue date de l’industrie des télécommun­ications contacté par Le Devoir a qualifié Ian Scott d’être «très brillant» qui s’entend bien avec les gens et qui aime réfléchir en profondeur aux enjeux qui le préoccupen­t. « Ses politiques sont en général plutôt libérales. Je crois qu’il sera grosso modo d’accord avec le gouverneme­nt», ajoute cette source.

Des dossiers à suivre

Ian Scott et Caroline J. Simard auront déjà plusieurs dossiers chauds sur leur bureau lors de leur entrée en poste. Le spécialist­e du CRTC Richard Paradis, président du Groupe CIC, rappelle que le dossier des quotas à la radio francophon­e n’a jamais été réglé. «Et il va possibleme­nt falloir revoir les décisions concernant le contenu francophon­e en télévision. Et il y a la dernière décision du CRTC qui est contestée par le secteur de la création et de la production francophon­e», explique celui qui enseigne aussi au Départemen­t de communicat­ion de l’Université de Montréal.

À ce sujet, le ministère de la Culture du Québec a dit au Devoir avoir envoyé les documents de la demande d’appel à la fin juin au gouverneur en conseil. «Nous allons donc laisser le nouveau président désigné du CRTC entrer en fonction et prendre connaissan­ce du dossier», a dit l’attaché de presse du ministre, Karl Fillion.

Le doctorant en communicat­ion à l’UQAM et adjoint de recherche au Centre de recherche CRICIS sur la communicat­ion Simon Claus croit quant à lui qu’Ian Scott aura entre autres à jongler avec le dossier de l’Internet à large bande et avec les enjeux de découvrabi­lité du contenu canadien en ligne, dans la mer de production américaine. «Dans cette période d’incertitud­e, ce qui est sûr, c’est que M. Scott est face à des choix particuliè­rement complexes, où de multiples intérêts s’affrontent et face auxquels il sera difficile d’aboutir à un arbitrage satisfaisa­nt.»

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