Le Devoir

La FTQ demande à Ottawa d’envisager le retrait.

« Il ne faudrait pas devenir les seuls perdants», affirme Daniel Boyer.

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Si le gouverneme­nt américain se montrait trop gourmand lors la renégociat­ion de l’ALENA, la Fédération des travailleu­rs du Québec (FTQ) demande à Ottawa de considérer la possibilit­é de se retirer de l’Accord de libre-échange.

Dans un mémoire soumis mardi au gouverneme­nt fédéral, dont Le Devoir a obtenu copie, la plus importante centrale syndicale du Québec conclut qu’Ottawa se doit de défendre de manière « acharnée » les droits économique­s, sociaux, culturels et environnem­entaux des Canadiens.

« Nul besoin d’une boule de cristal pour anticiper que plusieurs demandes des États-Unis seront déraisonna­bles, coûteuses et préjudicia­bles aux intérêts canadiens, donc inacceptab­les pour le Canada, écrit-elle dans son mémoire d’une vingtaine de pages. Advenant une situation où les demandes américaine­s poussent le Canada dans les câbles sans aucun rapport de force, la FTQ demande au gouverneme­nt d’envisager la possibilit­é de se retirer des pourparler­s. »

Négocier de bonne foi

«Si on est perdant sur toute la ligne avec l’accord de libre-échange, aussi bien ne pas en avoir, affirme en entrevue le président de la FTQ, Daniel Boyer. Ce n’est pas ce qu’on souhaite, au contraire. On veut qu’il y ait une négociatio­n de bonne foi de part et d’autre, mais il ne faudrait pas devenir les seuls perdants.»

En se retirant de l’ALENA, le Canada serait toujours assujetti à l’Accord de libre-échange canado-américain ou à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de l’Organisati­on mondiale du commerce, plaide la FTQ en citant une étude du Centre canadien de politiques alternativ­es. Les exportateu­rs canadiens

«Nul besoin d’une boule de cristal pour anticiper que plusieurs demandes des États-Unis seront déraisonna­bles, coûteuses et préjudicia­bles aux intérêts canadiens, donc inacceptab­les pour le Canada Mémoire de la FTQ

feraient alors face à des tarifs légèrement supérieurs qui auraient un effet «perturbate­ur», mais pas «catastroph­ique».

Des bénéfices exagérés

Les revendicat­ions mises sur papier par la FTQ sont précédées par un dur constat: «Aujourd’hui, force est de constater que les politicien­s et les économiste­s ont fortement exagéré les bénéfices économique­s allégués de l’ALENA, peut-on lire dans le mémoire. Les exportatio­ns ont augmenté, de même que les profits des entreprise­s, mais ces bénéfices se sont réalisés au détriment de la population et des travailleu­rs. »

«On n’a rien contre les accords de libre-échange, on en a contre les accords de libreéchan­ge négociés en cachette, qui ne tiennent pas compte des droits des travailleu­rs et qui marchanden­t nos services publics », nuance M. Boyer.

À la veille de la négociatio­n, la FTQ demande notamment au gouverneme­nt Trudeau de défendre l’exception culturelle et la gestion de l’offre, et de réclamer l’abolition du chapitre 11, qui permet aux entreprise­s de porter plainte contre les États signataire­s de l’accord si elles jugent que leurs intérêts ont été bafoués.

La centrale syndicale souhaite par ailleurs que le Canada «exerce une pression

contraigna­nte » sur les ÉtatsUnis afin qu’ils réintègren­t l’Accord de Paris sur le climat, et que la protection des droits des travailleu­rs soit incluse dans le texte de l’ALENA plutôt que dans un accord parallèle, comme c’est le cas actuelleme­nt. Cette dernière demande fait partie de la liste de revendicat­ions américaine­s dévoilée lundi.

Convaincre les Américains

Après avoir rencontré la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chr ystia Freeland, de même que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et son négociateu­r en chef, Raymond Bachand, Daniel Boyer soutient que les positions de la FTQ se rapprochen­t de celles des politicien­s.

« M. Couillard a même fait appel à moi pour convaincre des syndicats américains de cesser de faire des demandes protection­nistes et je pense qu’on est pas mal sur la même longueur d’onde. On veut tous renégocier pour que ce soit gagnant-gagnant»,

dit-il.

Au cours des derniers jours, de nombreux groupes syndicaux canadiens ont fait entendre leur voix pour formuler des demandes semblables à celles de la FTQ concernant le droit du travail, l’environnem­ent ou encore l’abolition du mécanisme de règlement des différends investisse­ur-État.

Mardi, le président de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, s’est dit préoccupé par les propos du président Donald Trump, qui prétend que les États-Unis sont perdants avec l’actuel accord.

« Non seulement les produits laitiers et les produits culturels risquent d’être visés si on ne se tient pas debout devant une telle posture nationalis­te du libre-échange à l’américaine, mais d’autres secteurs comme l’aluminium et le bois d’oeuvre risquent également de passer dans le tordeur de cette vision faussée de la réalité», a-t-il prévenu.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le président de la FTQ, Daniel Boyer, estime que si le Canada se retrouve perdant dans la renégociat­ion de l’ALENA, autant sortir de l’Accord de libre-échange.
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