Le Devoir

Pourquoi ne pas tout dire à propos des travailleu­rs migrants ?

- STÉPHANE ROY Président, Les Serres Sagami, Sainte-Sophie

L’auteur souhaite commenter notre dossier sur les travailleu­rs étrangers agricoles publié le 1er juillet 2017.

Quoi qu’en dise le vérificate­ur général du Canada, monsieur Michael Ferguson, la preuve est faite et fort bien documentée, depuis plusieurs années, que, malheureus­ement, les travailleu­rs locaux ne veulent pas d’emplois en agricultur­e, ni saisonnier­s ni permanents. Le programme qui permet l’embauche de travailleu­rs étrangers pour des périodes plus ou moins longues est donc essentiel. L’organisme FERME, Fondation des entreprise­s en recrutemen­t de main-d’oeuvre agricole étrangère, de même que différents services, comme celui de la Maind’oeuvre agricole de l’Union des producteur­s agricoles, ou encore Agri-Carrières, disposent de données fort éloquentes sur la question.

Lorsque je prends connaissan­ce de certaines informatio­ns véhiculées par les médias, j’ai l’impression, comme propriétai­re d’une entreprise de production en serre, que quelqu’un veut me placer dans la situation où je serais complice de certaines pratiques douteuses, d’influence indue sur les travailleu­rs étrangers, d’ententes lointaines avec des gangs de malfaiteur­s et d’extorqueur­s.

Nous ne demandons pas la venue chez nous de travailleu­rs étrangers pour les exploiter ou les maltraiter. Nous agissons dans le cadre des lois, des règles, de l’équité et du bon sens. Nous agissons avec humanité avec nos travailleu­rs, peu importe qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs.

Chez Savoura, nous n’avons aucune objection à ce que bien davantage de visites d’inspection soient effectuées dans nos installati­ons et dans les logements mis à la dispositio­n des employés pour vérifier les conditions dans lesquelles ils travaillen­t et ils vivent. D’ailleurs, de telles inspection­s ont déjà été plus fréquentes, pratique qui a changé on ne sait pourquoi !

Pour ce qui est de la santé, des accidents et des maladies possibles, nous demandons à nos travailleu­rs de nous en faire part rapidement. Des cas peuvent devenir compliqués et dangereux si on tarde à intervenir et à confier aux profession­nels compétents les personnes touchées.

Une «omertà»

Cependant, nous ne pouvons être tenus responsabl­es des cas où, volontaire­ment, des travailleu­rs gardent secrets des incidents et demandent à leur entourage de faire de même. Qui exactement impose cette «omertà»? Nous serions les premiers heureux de l’apprendre.

Je crois que le mal vient essentiell­ement du pays d’origine des travailleu­rs. Des «mafias» locales exigent des paiements importants, en dehors du cadre normal et censément prévu du recrutemen­t. De la sorte, les extorqueur­s disent pouvoir garantir du travail à des personnes qui sont tenues dès le départ, avant même leur arrivée au Canada, au silence. La crainte existe, certes, mais chez Savoura (Les Serres Sagami inc.), nous prônons l’ouverture, la collaborat­ion la plus étroite, tout cela pour le bien-être des travailleu­rs et le bon fonctionne­ment de nos activités.

Le gouverneme­nt canadien a assoupli les règles d’entrée au pays des travailleu­rs étrangers. Nous sommes heureux de cette décision. En parallèle cependant, pourquoi n’y aurait-il pas élaboratio­n de protocoles plus fiables entre le Canada et les pays d’origine des travailleu­rs, dans les opérations de recrutemen­t ?

Les travailleu­rs qui arrivent chez nous, déjà enfermés dans un étau du secret, n’ont souvent d’autre réflexe que de poursuivre en silence ce qu’ils ne veulent absolument pas perdre, c’est-àdire un travail qui leur fournira de quoi améliorer leurs conditions de vie. Encore faut-il que personne n’ait au préalable contraint ces travailleu­rs à payer des sommes souvent importante­s ou à s’endetter pour obtenir l’emploi en question.

Comme entreprene­ur agricole, j’ai besoin de main-d’oeuvre et ne souhaite surtout pas que ces travailleu­rs se sentent exploités, ni par moi ni par d’autres qui les auraient placés en situation précaire, souvent même avant leur arrivée au Canada.

Parmi les éléments de ce qui deviendrai­t un protocole officiel de recrutemen­t entre le Canada et d’autres pays, il devrait nécessaire­ment y avoir, auprès des travailleu­rs potentiels, la présentati­on claire des règles, de la formation et de l’informatio­n et, prioritair­ement, l’établissem­ent de contrats types. Si, malgré tout, des intermédia­ires véreux s’infiltrent dans le processus, il revient, je crois, aux pays d’origine de faire le nécessaire.

Je n’ose prétendre que tout est parfait au Canada. J’ajoute toutefois que si des correctifs doivent être apportés par telle ou telle autre entreprise, il faudra le faire. N’oublions pas, par ailleurs, que pour nombre d’entreprise­s, les relations avec les travailleu­rs étrangers sont bonnes et mutuelleme­nt profitable­s. Encore une fois, tout est perfectibl­e, mais il serait prudent et correct de ne pas généralise­r sur la base de quelques cas déplorable­s.

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