Le Devoir

Plus d’équité, bien sûr !

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Au cours de sa campagne électorale, Justin Trudeau s’était engagé à introduire plus d’équité dans le régime fiscal canadien. Les propositio­ns présentées cette semaine par le ministre Bill Morneau vont dans ce sens et méritent certaineme­nt d’être adoptées rapidement par Ottawa et les provinces.

Tout en rejetant l’idée de resserrer les règles d’imposition des options d’achat d’actions que se versent certains dirigeants à titre de rémunérati­on, le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, s’attaque à trois autres échappatoi­res fiscales utilisées par les plus fortunés. La première, très populaire auprès des travailleu­rs indépendan­ts constitués en société, a pour nom «La répartitio­n du revenu par le recours aux sociétés privées ». Le truc est simple et légal, mais peu équitable par rapport aux simples salariés ou à quelque autre travailleu­r indépendan­t qui n’est pas incorporé. Il va comme suit: un consultant, un profession­nel constitué en société, peut séparer ses revenus de rémunérati­on en deux parties, la première qu’il se verse sous forme de salaire, le reste sous forme de dividendes pour son conjoint ou sa conjointe et ses enfants adultes inscrits comme actionnair­es sans contributi­on réelle aux activités de l’entreprise.

Selon les calculs du ministère des Finances, à un niveau de revenus de 220 000 $, un salarié paie 35 000$ d’impôt de plus que le travailleu­r indépendan­t constitué en société ayant choisi de toucher 100 000$ en salaire et de distribuer le reste, après impôts les profits, sous forme de dividendes à ses proches.

À elle seule, la répartitio­n du revenu entre les membres d’une même famille amènera 250 millions supplément­aires dans les coffres fédéraux et sans doute autant dans ceux des provinces qui n’ont aucune raison de ne pas suivre.

Ce n’est pas un hasard si «le nombre de sociétés du domaine des services profession­nels a triplé dans les 15 dernières années» au Canada, constate le ministère des Finances. Même en n’ayant pas recours aux échappatoi­res, l’incorporat­ion reste une formule intéressan­te depuis que les conservate­urs ont réduit les taux d’imposition des entreprise­s, dont ceux des PME.

Au Québec, le gouverneme­nt Charest a permis aux médecins de se constituer en société en 2007 pour compenser son incapacité à répondre à leurs demandes salariales salées. Il avait fait de même quelques années auparavant pour les avocats et les comptables.

Le deuxième changement proposé par le ministre Morneau vise à taxer l’argent que le propriétai­re d’une PME choisit de conserver passivemen­t (achat d’actions, d’obligation­s, etc.) dans un compte de son entreprise au lieu de se le verser sous forme de salaire et de dividendes imposables avant de le placer. En agissant ainsi, le propriétai­re profite du taux d’imposition peu élevé des PME et d’un report d’impôt jusqu’au moment d’empocher l’argent.

Quant à la troisième mesure, elle a pour but de neutralise­r les conséquenc­es d’une stratégie complexe d’ingénierie fiscale par laquelle le propriétai­re d’une société vend des actions de sa firme à une seconde entité lui appartenan­t afin de toucher une plus-value virtuelle sous forme de gains en capital qui sera moins lourdement imposée que des dividendes. Que n’inventerai­t-on pas pour se soustraire à l’impôt !

Ces changement­s qu’Ottawa a le devoir d’adopter l’automne prochain, après consultati­ons, ont de quoi choquer les individus touchés qui considèren­t ces avantages comme des acquis, et les fiscaliste­s qui vendent chèrement leurs ser vices.

Les associatio­ns patronales ont déjà fait part de leur opposition en disant craindre que le fisc brime des familles dont les proches participen­t vraiment aux affaires de la compagnie. À cela, les libéraux répondent qu’ils n’ont surtout pas l’intention de pénaliser « les gens de la classe moyenne qui travaillen­t fort» dans leur entreprise.

Certains craignent aussi que de taxer davantage les revenus des PME nuise au réinvestis­sement. Pourtant, c’est précisémen­t ce qu’Ottawa cherche à faire: que l’argent des profits soit réinvesti dans l’entreprise au lieu d’être engrangé à l’abri de l’impôt dans des comptes sans lien avec les activités de l’entreprise en attendant d’être retiré par le propriétai­re. Propriétai­re qui a déjà le droit de se verser des dividendes au lieu d’un salaire et de profiter d’une exonératio­n du gain en capital de 835 000$ à la vente de son entreprise.

Malgré ces changement­s, le traitement fiscal des PME canadienne­s reste très compétitif par rapport aux autres pays du G7. Et il sera maintenant plus équitable.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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