Les outrances d’un gentleman
Dans Lowlife, Ryan Prows fait comme ses personnages : il tire sur tout ce qui bouge
Ryan Prows se décrit sur la toile comme «a Filmmaker, a Southerner, and a Gentleman of the highest caliber». Il fait sans doute bien de le préciser, car à la lumière de son premier long métrage de fiction, Lowlife, on a parfois l’impression qu’il a travaillé au même club vidéo que Quentin Tarantino dans ses jeunes années, s’abreuvant davantage de comics que de thé Earl Grey.
Et à la même vitesse que fusent parfois les balles dans ce film choral présenté en première mondiale ce vendredi à Fantasia, les réponses de Ryan Prows sont concises, rarement hésitantes, sur le ton décontracté des gens de cinéma qui peuplent Los Angeles, là d’où il me parle au bout du fil.
Le cinéaste n’est pas originaire de la Californie, mais d’Atlanta, en Géorgie. «Contrairement à beaucoup de gens qui sont mal à l’aise de dire qu’ils viennent du Sud, je n’ai aucun problème avec ça», lance le cinéaste, qui reconnaît que, dans la Cité des anges, «on se fiche d’où vous venez». Lui rêvait déjà de vivre là-bas tout en bricolant ses premiers films à l’école secondaire, conscient que c’était l’endroit par excellence pour matérialiser ses ambitions. «Je voulais être accepté à l’American Film Institute, sachant que ça serait un tremplin pour ma carrière. D’ailleurs, la majorité des gens qui ont travaillé sur Lowlife (producteurs, scénaristes, directeur photo, directeur artistique, monteur) ont tous étudié avec moi. »
Et visiblement, ils semblent partager sa vision cauchemardesque, décousue, et tonitruante d’un monde dont la boussole morale semble déréglée. Pessimiste, Ryan Prows? «Je ne dirais pas ça. Mon but était de présenter des marginaux, et de leur faire prendre conscience que s’ils unissent leurs forces, ils pourront se battre, plutôt que d’échouer seuls dans leur coin. » Comme le sujet apparaît incontournable, il souligne rapidement que le président Donald Trump «nous oblige, plus que jamais, à nous serrer les coudes, à nous défendre, et à discerner… qui sont nos véritables amis ».
Il est vrai que les antihéros de Lowlife ont parfois du mal à le faire, suite de personnages sortis tour à tour d’une bande dessinée de super héros, d’une histoire de gangsters, d’un mélodrame ou d’un film d’horreur. Même les policiers qui surgissent dès les premières minutes suscitent une méfiance justifiée, leur intrusion dans un motel bas de gamme donnant le coup d’envoi à une succession de drames et de quiproquos impliquant un lutteur aux colères incontrôlables, sa conjointe toxicomane enceinte jusqu’aux yeux, deux anciens détenus revenus plus ou moins sur le droit chemin, et une ex-héroïnomane cherchant à sauver son conjoint en quête d’un nouveau rein.
Fils narratifs
«Jusqu’à un certain point, on se dit que ces personnages ne peuvent pas se retrouver dans le même film, et pourtant, ils y sont, souligne, triomphant, le cinéaste. Ils sont un peu étranges — à l’image de Los Angeles, une ville so weird ! —, mais nous avons cherché ce qui les rendait uniques, parfois de manière exagérée, et ce qui les reliait: l’exploitation abusive, sous toutes ses formes. »
Cet arrimage constituait l’un de ses plus grands défis, car au départ, il voyait Lowlife comme une sorte d’anthologie du crime au cinéma. Au fur et à mesure, avec son équipe de scénaristes, cinq au total, « toutes ces histoires qui s’entrecoupaient, nous avons réussi à les relier». Les fils narratifs sont parfois étonnants, parfois énormes, sans compter qu’aux ellipses temporelles s’ajoutent de multiples ruptures de ton, comme si le spectateur débarquait tout à coup dans un autre film.
«Toutes ces ruptures, c’était à la fois terrifiant et exaltant à gérer. Il m’arrivait de me demander où je m’en allais avec tout ça.» Une insécurité que les acteurs ont perçue ? « Je ne crois pas… du moins je l’espère! De toute façon, le scénario était déjà un peu fou, ils savaient à quoi s’attendre et ont tous pris leur rôle très au sérieux. » Une dévotion par ailleurs palpable chez Nicki Micheaux («Le coeur du film», selon Ryan Prows), dans la peau de cette gérante de motel qui en verra de toutes les couleurs, et Ricardo Adam Zarate, en lutteur de pacotille pourvu de pouvoirs maléfiques et affublé d’un masque qu’il ne retirera jamais, ou presque. «Pendant le tournage, on se demandait si l’émotion allait passer.» Considérant les multiples péripéties rocambolesques, et sanglantes, dans lesquelles Ryan Prows le plonge, et nous avec lui, il n’a pas à s’inquiéter. LOWLIFE De Ryan Prows. En première mondiale ce vendredi à 21 h 25 à l’Auditorium des diplômés de la SGWU (Théâtre Hall) de l’Université Concordia.
«Jusqu’à
un certain point, on se dit que ces personnages ne peuvent pas se retrouver dans le même film, et pourtant, ils y sont Le réalisateur Ryan Prows