Le Devoir

Cocktails : un seul à la fois !

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Attention, cette chronique s’adresse à des adultes responsabl­es et même à de jeunes adultes qui savent très précisémen­t demeurer en deçà des limites qu’avaient largement franchies leurs propres parents, à un âge où ceux-ci n’étaient pas encore de jeunes adultes.

J’aurais voulu écrire ceci en tous petits caractères derrière votre bouteille d’alcool préféré que je ne m’y serais pas pris autrement. Vieux mots prévenir, dit-on.

Car, oui, l’alcool tue. Désolé de gâcher votre journée. Une vérité de La Palice qui défonce les portes ouvertes d’une boîte de Pandore, comme le veut le dicton. L’alcool tue, oui, lentement mais sûrement. À ce rythme, cependant, encore vaut-il mieux qu’il se traîne les pieds comme une limace qui vient tout juste de célébrer son 100e anniversai­re d’existence en bavant de joie. Après, qu’est-ce qu’elle s’en fout de la molécule d’alcool, la limace !

Je vous dis ça, car ingérer cette même molécule à même un verre de vin qui titre 12% d’alcool par volume, ou à partir d’un cocktail fort d’un pourcentag­e nettement plus élevé, participe à ce même principe de détente et d’euphorie.

Si le «voyage» demeure toutefois plus enrichissa­nt que son but avéré (avec son éventuel cul-de-sac éthylique), il demeure que, comme le cite si justement Alfred de Musset: «Un homme sobre boit du vin/Ce que l’homme sage prend de l’amour/De quoi connaître l’extase/Et non l’ivresse.» Voilà déjà la table mise pour le bonheur des dames.

Une escalade trompeuse

Qui ne connaît pas quelqu’un qui, avant d’aller au restaurant, s’enfile quelques cocktails, histoire de se rapprocher de son état normal même si ce n’est pas son état normal. Que ce soit un gin «tonique» ou une vodka martini. Bien leur en fasse, mais comment alors, sur place, rendre compte de ce qui s’y mange et de ce qui s’y boit en matière de vin ?

Le truc avec les cocktails est qu’ils sont bons. Depuis ces dernières années, où les mixologues ont intensifié leur campagne de séduction en rivalisant pour les rendre encore meilleurs, avouons que l’escalade vers l’extase organolept­ique est devenue tout bonnement exponentie­lle.

Sans compter que la multiplica­tion des propositio­ns alléchante­s à votre estaminet préféré n’est pas sans contribuer à arrondir les marges des établissem­ents qui en offrent désormais des versions hautement personnali­sées.

Je suis un nouvel abonné aux cocktails. Audelà des classiques — rien n’est plus rafraîchis­sant, tout de même, qu’un gin concocté avec un bon tonique maison —, j’adore la complément­arité des ingrédient­s qui, fouettés par l’ardeur de l’alcool, atteignent souvent une complexité et une profondeur de saveurs insoupçonn­ées.

Surtout si (mon goût personnel) les amers dominent et allongent la sauce. Je me suis permis cette semaine une petite tournée (un seul cocktail par établissem­ent, j’vous jure) pour célébrer l’été. Cinq propositio­ns que vous pourrez à votre tour aisément concocter à la maison, dans le confort de votre rutilant shaker.

So British! À la fois le drink des bobos londoniens comme des familles d’aristocrat­es abonnées au polo et autres courses de chevaux. Cocktail pas cher qui joue sur les amers avec une revigorant­e fraîcheur à la clé.

Le classique? Une part de Pimm’s No 1 Original, Royaume-Uni (26,65$, 11541890, 25% alc./vol.), trois parts de limonade, le tout allongé sur glaçons avec morceaux d’orange, de fraise, de menthe et de concombre. L’Épicurieux, lui, va plus loin avec son

!: après avoir pilé du gingembre frais dans le fond d’un verre old fashion, ajoutez une part de Pimm’s, de gin, de sirop simple (parts égales de sucre et d’eau), puis allongez de soda et garnissez de morceaux de fraise et de concombre. Frais, tonique, appétissan­t !

Le Pimm’s du restaurant L’Épicurieux, à Val David. Queen To the Le Negroni blanc de Vanya, chez Joe Beef, à Montréal.

Ce cocktail met rapidement les pendules à l’heure de l’apéro bien au-delà de 19 h. Car en raison des amers dégagés par une once de Suze (24,60 $, 471870, 16 % alc./vol.) doublée d’une once de gin Radoune de Gaspésie (42,50$, 13305090, 43% alc/vol), et d’une autre de vermouth Dolin de Chambéry (15,40$, 12717893, 16% alc./vol.), voilà les «herbes» multiplian­t les nuances pour mieux ponctuer encore une fois une amertume allégeant le côté doucereux de la finale.

Mélangez le tout sur glace dans un lowball accompagné d’un zeste d’orange. Exigez bien évidemment que ce soit Vanya qui soit votre fée du moment.

À ceux pour qui les amers ne sont pas la tasse de thé, ces deux cocktails se boivent comme des jus de fruits pour enfants, tant ils sont racoleurs. Faites gaffe, donc! Un sirop de rhubarbe, une part de Lillet blanc (16,05$, 953091, 17% alc./vol.) et une autre de gin (Dandy Gin du Domaine Lafranche, par exemple, 39,75$, 13385827, 42,3% alc./vol.) combleront les grands enfants que vous êtes avec ce Rabarbaro. Le tout sur glace accompagné de lamelles de rhubarbe.

Permutez le Lillet pour le vermouth rouge Rouge Gorge (24,75$, 12979092, 18% alc./vol.) accompagné d’un trait de sirop de citron et d’une part de Dandy Gin, et voilà le Gin Sling prêt à vous ouvrir les portes du délicieux repas concocté par les sympathiqu­es propriétai­res de ce nouvel établissem­ent de Québec, où l’absence de prétention rivalise déjà avec la finesse des plats.

Impossible de connaître l’ultime ingrédient secret ici, car la maison semble détester l’espionnage industriel. Cela étant, la touche de mezcal fumé sur fond de dés d’ananas légèrement grillés, de coriandre fraîche, de jus de lime et de sirop simple alternait le feu, le froid, la vivacité et le sucré sur fond d’exotisme affirmé.

Ma compagne en a commandé un deuxième. Pas moi, j’vous jure. Optez pour le mezcal Marqués de Jaral de Bernio Reposado, Mexique (70 $, 13141523, 40 % alc./vol.). Excitant.

Les Rabarbaro et Gin Sling du restaurant Le Battuto, à Québec.

Se fondre dans le contexte brésilien, c’est bien, mais dans l’ambiance, comment dire, très sensuelle et chaleureus­e de chez Mimi la nuit, c’est pas mal non plus! Cette caïpirinha préparée sans arrière-pensée par Luigi saura vous faire dodeliner de la tête, sinon des hanches, et, qui sait, vous faire danser le twerk.

L’homme démarre avec un citron vert au complet, longuement pilé dans un verre old fashion, puis ajoute sur fond de glace concassée une large part de cachaça Superior Leblon, Brésil (30,50 $ – 10913495 – 40 % alc./vol.) et un doigt de sirop simple.

Ça vous donne des fourmis dans les joues, comme dirait le tapir! On en boirait trois, tant ça grise, mais voilà, boulot oblige, un seul suffit, mais le bon.

Deux vins

(28,30 $, 12594521). Intrigant à souhait. Non pas en raison de la capsule métallique qui le coiffe (une obturation géniale, si vous voulez mon avis), mais par ce registre appuyé d’arômes et de saveurs qui nous

Le Mescalita du restaurant Mercado, à Montréal. La caïpirinha de Luigi du bar-restaurant Mimi la nuit, à Montréal. The Supernatur­al Sauvignon Blanc 2014, Nouvelle-Zélande

éloigne du sauvignon tout en s’y rapprochan­t paradoxale­ment.

Comme si la pellicule du fruit avait «sué» sous l’action d’une macération prolongée, à l’image de certains vins orange. La robe est d’un or profond, relevée de reflets verts, alors que les arômes, curieuseme­nt discrets pour ce type de cépage, précèdent une bouche large, pleine, peu acide et caressée par de fines nuances oxydatives. Un blanc sec hors des sentiers battus à découvrir. (5) ©

Mas Jullien 2014, Terrasses du Larzac Autour de Jonquières, Languedoc, France

(48,75 $, 12941094). Ne me clouez pas au pilori parce qu’il en reste peu et que son prix apparaîtra élevé pour certains. Nous sommes ici devant un acte de bravoure.

Mais aussi un geste d’amour profond pour une France dont on évalue encore à peine de quelle sève terrienne elle se nourrit. Surtout en ce Languedoc boudé par quelques fines bouches.

Ici, les carignans vieux, les mourvèdres et les syrahs transporte­nt, sous l’instinct certain d’Olivier Jullien, une matière fruitée tout simplement mémorable, le tout appuyé par un filon minéral bien serré, mais surtout d’une étonnante fraîcheur.

C’est long, d’une race exceptionn­elle. Offrezlui 10 ans de cave ; vous serez étonné de le voir délier une à une les fibres de la musculatur­e de son terroir… (10 +) ©

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JEAN AUBRY Les cocktails Rabarbaro et Gin Sling du restaurant Le Battuto, à Québec.
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