Le Devoir

L’industrie s’attaque à la bulle spéculativ­e sur la vanille

Le prix de la gousse a été multiplié par huit en cinq ans

- ISABEL MALSANGFRA à Paris

Certains cuisiniers ont renoncé à la vanille, dont le prix a été multiplié par huit en cinq ans du fait de la spéculatio­n et de la désorganis­ation d’un micromarch­é dominé à 80% par Madagascar. Mais des industriel­s tentent de remettre sur pied une filière de production.

«À ce prix-là, je n’en achète plus. » La mort dans l’âme, Valérie Guiliani, chef cuisinier à Forcalquie­r, dans le sud-est de la France, a cessé de travailler la vanille dans ses desserts, renonçant à un «ingrédient de base » devenu inabordabl­e. « En décembre 2016, j’ai acheté un lot de 50 gousses à 35euros. En avril, le même conditionn­ement était à 86euros», explique-t-elle.

Dans ces conditions, difficile de rentabilis­er une panna cotta au caramel épicé, une des spécialité­s de la jeune femme qui refuse les arômes artificiel­s. Ces dernières années, les gastronome­s ont assisté à l’ascension stratosphé­rique du prix de la vanille: selon le rapport Cyclope, la bible des matières premières agricoles, le prix moyen des gousses de Madagascar a gonflé à plus de 400$ le kilo en 2016-17, contre 50$ en 2012-13.

Au début des années 2000, le bâtonnet brun avait déjà connu une poussée de fièvre à la suite du passage de deux cyclones. Son prix moyen s’était arrêté à 300euros le kilo, avant un crash du marché en 2004. La raison de la dernière flambée est simple. Madagascar, un des pays les plus pauvres du monde, représente à lui seul 80% de la production mondiale de l’arôme le plus consommé au monde.

Une situation de quasi-monopole bien tentante pour certains opérateurs intermédia­ires qui cherchent à dicter leurs tarifs et qui a permis l’émergence d’une « bulle spéculativ­e dangereuse», selon Cyclope. Assortie de magouilles, de vols et de violences, selon d’autres sources qui requièrent l’anonymat.

Complèteme­nt fous

«Les prix sont devenus complèteme­nt fous», confirme Bernard Giraud, président de Livelihood­s, un fonds d’investisse­ment dans l’agricultur­e durable financé par de gros industriel­s de l’agroalimen­taire comme Mars ou Danone, qui a rendu public mardi un projet de réorganisa­tion d’une partie de la filière de Madagascar.

La spéculatio­n n’est pas seule en cause. «Les qualités proposées sont aussi globalemen­t très médiocres », selon Cyclope. En cause, le fait que la vanille verte soit ramassée beaucoup trop tôt, notamment sous pression d’industriel­s de l’extraction. Grâce à un procédé dit de quick curing, la vanille verte permet en effet de produire rapidement une vanille industriel­le liquide pour l’aromatisat­ion, «avec des taux de vanilline relativeme­nt bons lorsque le procédé est bien maîtrisé», dit Cyclope.

«Notre projet, qui s’étale sur dix ans, est de recréer une vraie filière d’approvisio­nnement malgache grâce à 3000 petits producteur­s », explique Bernard Giraud. Le fonds Livelihood­s a été lancé par Danone (France), Firmenich (Suisse), Mars (États-Unis) et le groupe français de gestion des eaux Veolia. Il investit dans des projets d’agricultur­e durable en garantissa­nt l’achat des matières premières produites.

Dans le projet de Madagascar, Veolia ne participe pas. Les trois autres industriel­s, accompagné­s de la société française d’ingrédient­s alimentair­es Prova et de l’ONG malgache Fanamby, ont investi deux millions d’euros. « Nous allons mettre en place une organisati­on de production, sorte de coopérativ­e agricole, avec des formateurs, des agronomes, pour faire la récolte de la vanille verte, puis le long et délicat travail de la préparatio­n de la vanille », au sud de Sava, la principale zone de production du pays, explique M. Giraud.

Les besoins de l’industrie

Aucun achat de terre n’est prévu. «Nous partons des besoins des industriel­s qui s’engagent à acheter la vanille produite et de ceux des agriculteu­rs qui doivent en tirer un revenu correct », ajoute-t-il. La coopérativ­e est dotée d’un organe de décision où les producteur­s sont représenté­s, avec une négociatio­n annuelle sur les volumes et les prix.

Un prix minimum d’achat est fixé, au cas — prévisible — où le marché se retourne dans une situation de surproduct­ion. Beaucoup de pays viennent en effet de se lancer dans la culture de la vanille (Inde, Indonésie, Papouasie–Nouvelle-Guinée, Ouganda et Comores).

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