Le Devoir

Le Venezuela en grève générale

Les manifestat­ions contre le président Maduro font un nouveau mort

- MARIA ISABEL SANCHEZ à Caracas

Barricades, commerces fermés, transports à l’arrêt: le Venezuela était en partie paralysé jeudi par une grève générale à l’appel de l’opposition contre le projet du président Maduro de modifier la Constituti­on, après bientôt quatre mois de manifestat­ions qui ont fait un nouveau mort.

Ronney Tejera, 24 ans, a été «mortelleme­nt blessé par une arme à feu» alors qu’il participai­t à une manifestat­ion à Los Tuques, a précisé le Parquet, ajoutant que trois autres personnes avaient été blessées. Cette nouvelle victime porte à 98 le nombre de personnes tuées lors des manifestat­ions de l’opposition contre Nicolás Maduro.

Les antichavis­tes — du nom d’Hugo Chavez, président de 1999 à sa mort en 2013, dont Nicolás Maduro est l’héritier — sont faroucheme­nt opposés à la désignatio­n d’une Assemblée constituan­te: elle permettra, selon eux, de contourner le Parlement élu, où ils sont majoritair­es.

Dans plusieurs quartiers de Caracas et d’autres villes comme Maracaibo, dans l’ouest du pays, les rues étaient bloquées par des barricades depuis le matin. Des affronteme­nts sporadique­s entre les deux camps ou avec la police ont éclaté à divers endroits.

L’opposition est lancée dans un contre-la-montre: le 30 juillet, les 545 membres de l’Assemblée constituan­te doivent être élus avec pour mission de réécrire la Constituti­on.

Le chef de l’État compte y inscrire les programmes sociaux, le contrôle des prix pour limiter l’inflation — estimée à 720% pour 2017 par le FMI — et la distributi­on d’aliments subvention­nés afin de combattre la pénurie.

Pour le gouverneme­nt, cette future assemblée sera aussi un «super pouvoir» qui pourra dissoudre le Parlement et dont la durée du mandat n’est pas définie.

Estimant le mode de désignatio­n des candidats à l’Assemblée constituan­te verrouillé et trop favorable au chavisme, l’opposition a choisi de boycotter le processus électoral.

«Peu importe de perdre une journée de travail quand on est en train de perdre un pays. Je rejoins la mobilisati­on pour essayer de sauver le peu qui nous reste, pour accroître la pression », a expliqué à l’AFP Omar, 34 ans, patron d’une petite entreprise de bâtiment au sud-est de Caracas.

«Pour la paix»

«Nous avons de nouveau gagné […]. Les seuls qui peuvent paralyser ce pays sont les chavistes », s’est félicité M. Maduro en assurant que les secteurs clés de l’économie tournaient «à 100%».

Aux prises avec une intense pression diplomatiq­ue, le chef de l’État socialiste assure que le projet de Constituan­te sera maintenu «pour la paix et le redresseme­nt économique» du pays et rejette les menaces de sanctions économique­s «fortes» de Donald Trump en cas d’élection de cette assemblée.

La grève générale est soutenue par le patronat, les chambres de commerce et d’industrie, une partie des syndicats, les étudiants et les entreprise­s de transport.

Certains secteurs économique­s, accusés par le président de mener une « guerre économique », craignent l’instaurati­on, par le biais de la Constituan­te, d’un modèle économique «à la cubaine», qui aggraverai­t la situation économique, selon eux.

Lors des législativ­es de fin 2015, les antichavis­tes se sont largement imposés avec 2,1 millions de voix d’avance sur le camp présidenti­el. Devenus majoritair­es au Parlement, ils ont mis fin à 17 ans d’hégémonie chaviste et réclament une élection présidenti­elle anticipée.

Le pétrole toujours contrôlé

Mais le gouverneme­nt, qui a menacé de sanctions les entreprise­s participan­t à la grève, contrôle la très stratégiqu­e industrie pétrolière et la fonction publique, qui compte près de trois millions d’employés.

Entre décembre 2002 et janvier 2003, une grève générale convoquée par l’opposition à Hugo Chavez avait paralysé pendant deux mois la production de la compagnie nationale des pétroles, la PDVSA. Quelque 17 000 grévistes de PDVSA avaient alors été licenciés. L’entreprise a dit fonctionne­r normalemen­t jeudi.

«Une grève dans un pays pétrolier où le gouverneme­nt contrôle cette production revient à un bras de fer financier opposant l’ entreprene­uriat et une population affamée et appauvrie à un gouverneme­nt également ruiné, mais qui contrôle les maigres ressources», analyse Luis Vicente Leon, de l’institut Datanalisi­s.

Frappé par une grave pénurie d’aliments et de médicament­s et une inflation galopante, le Venezuela a perdu 70% de ses entreprise­s ces dix dernières années, et celles qui restent fonctionne­nt à 30% de leurs capacités, selon le syndicat patronal Fedecamara­s.

Si la tension se poursuit jusqu’à la fin de l’année, le PIB pourrait se contracter de 9% en 2017, contre une prévision originale de -4,3%, a déclaré à l’AFP Asdrubal Oliveros, directeur du cabinet Ecoanaliti­ca.

 ?? RONALDO SCHEMIDT AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Dans plusieurs quartiers de Caracas et d’autres villes, les rues étaient bloquées par des barricades depuis le matin.
RONALDO SCHEMIDT AGENCE FRANCE-PRESSE Dans plusieurs quartiers de Caracas et d’autres villes, les rues étaient bloquées par des barricades depuis le matin.

Newspapers in French

Newspapers from Canada