Le Devoir

Tour de France

Une équipe, des capteurs et pas de dopage

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Une équipe et pas de dopage

Encore deux étapes et ça en sera fait de ce Tour de France 2017, avec son florilège de drames, de chutes, de coups d’éclat et de controvers­es. Regard thématique sur ce que la Grande Boucle a révélé — ou rappelé.

Ce n’était pas un grand Tour, il y a eu peu de spectacle. Beaucoup d’étapes étaient assez ennuyeuses. » Ainsi parlait Eddy Merckx — probableme­nt le plus grand coureur cycliste de l’histoire — en visite sur la 19e étape du Tour, vendredi.

Blasé, celui qu’on appelle encore le Cannibale? Déçu, à tout le moins, de voir une course largement contrôlée par l’équipe Sky de Chris Froome, avec des étapes de montagne qui n’ont pas fait de ravages et des étapes de plaine au scénario répétitif: une échappée reprise à la toute fin, un sprint et l’Allemand Marcel Kittel qui gagne (cinq victoires en 2017).

Mais ce Tour fut aussi palpitant à bien des égards. Les Français Romain Bardet (deuxième au général avant le contre-la-montre de ce samedi) et Warren Barguil (deux victoires en montagne — il devrait ramener le maillot à pois du meilleur grimpeur à Paris) ont animé la course avec une solide dose de panache. L’issue des sprints impliquant Kittel était peut-être connue d’avance, mais assister à ces numéros de puissance pure dans les derniers 200 mètres d’une course demeure fascinant.

Il y a eu la frayeur de Froome à Peyragudes, une petite faille pour rappeler que l’Anglais est (relativeme­nt) humain. Il y a eu l’incroyable victoire du Colombien Rigoberto Uran à Chambéry, le dérailleur cassé sur un gros braquet — ne manquait que la chambre à air enroulée aux épaules pour la jouer totalement à l’ancienne.

Il y a aussi eu la violente chute de Richie Porte dans la descente du mont du Chat, et combien d’autres de ces scènes qui composent le grand théâtre de n’importe quel Tour de France.

Tout cela pour arriver à Marseille, ce samedi, avec trois favoris dans un mouchoir de poche — Froome a 23 secondes d’avance sur Bardet, et 29 sur Uran. Quelles leçons tirer de l’édition 2017? Le journalist­e sportif et romancier français François Thomazeau et l’ancien coureur québécois David Veilleux, premier cycliste québécois à avoir complété la boucle (en 2013), font un tour du Tour.

Un sport d’équipe. Ce fut fait à doses savamment calculées, mais l’équipe Sky a subtilemen­t écrasé ce Tour de France en protégeant parfaiteme­nt son leader, Chris Froome. Un rappel que ce sport en apparence individuel est largement collectif. «L’équipe Sky fait la loi dans le peloton depuis cinq ans et dispose du budget lui permettant de s’offrir les meilleurs équipiers», fait remarquer Thomazeau, qui a suivi 28 Tours de France, notamment pour Reuters et Le Monde.

«Je n’ai pas été surpris de la force de Sky, dit Veilleux. C’est leur façon de faire: tout est centré sur la victoire au Tour. Rien n’est laissé au hasard: par exemple, la plupart des équipes prennent les jantes fournies par un commandita­ire. Eux vont plutôt aller chercher les meilleures jantes, les meilleurs moyeux, les meilleurs pneus. Ils sont très méthodique­s dans l’effort et le rôle de chacun. Et ça paie.»

Manque de piquant. Cette domination de Sky «enlève du piquant aux courses», pense David Veilleux. «Tout est très calculé. Comme spectateur, c’est fâchant, mais comme coureur aussi : tu es dans l’échappée, mais ça adonne que Sky a décidé qu’elle n’irait pas jusqu’au bout et se met à rouler. Tu ne contrôles pas toutes les cartes…»

Capteurs de puissance. Un autre élément influence le déroulemen­t des courses: ces fameux capteurs de puissance (SRM) que l’immense majorité des coureurs utilisent maintenant. «Ça joue énormément, dit Veilleux. Le capteur, qui est dans le pédalier, te donne la valeur magique qui t’indique où tu es par rapport à ton effort maximum possible. Alors les gars commencent à grimper un col, ils s’installent dans leur wattage et ne prennent pas le risque de sauter parce qu’ils sont partis trop vite. C’est très… mathématiq­ue.»

Deux blogueurs du Monde écrivaient cette semaine que «danser sur son vélo ne sert plus à rien de nos jours, il est préférable de rester confortabl­ement le cul sur la selle et les yeux sur le SRM».

« Cela fait que tous les coureurs, au lieu de courir à l’instinct, se fient aux indication­s de leur capteur et n’osent plus se lancer dans des offensives risquées, voire suicidaire­s, ajoute Thomazeau. Peut-être que l’interdicti­on en course de ces instrument­s d’informatio­n et de mesure serait une bonne chose. »

Vers de nouvelles stratégies. Mais il y a du bon lié à l’avènement de cette technologi­e, poursuit François Thomazeau: l’obligation, pour les équipes et les coureurs, de « trouver autre chose, de renouveler leurs stratégies. On voit depuis quelques années l’importance prise par les descentes. C’est un aspect qui fait partie du vélo. Les coureurs doivent apprendre à être forts sur tous les terrains. C’est un peu le cyclisme d’antan qui était stéréotypé. »

Pas de dopage ? À l’avant-veille de l’arrivée sur les Champs-Élysées, aucun cas de dopage n’avait été recensé. Est-ce à dire que le cyclisme est sorti du grand mal qui l’afflige depuis… près d’un siècle, si on se rappelle toutes les pilules et pommades que les frères Pélissier avaient avoué prendre sur le Tour 1924? Prudence…

Ancien entraîneur de l’équipe Festina et chroniqueu­r invité au Monde, Antoine Vayer décortique chaque année les performanc­es en watts des coureurs et les compare à des mesures étalons. Son bilan?

«Malgré une baisse des performanc­es en watts développés sur le Tour depuis 2011, la suspicion est toujours de mise après certains exploits hors norme, écrivait-il dans le quotidien français. L’optimisme reprend timidement le dessus après certaines grandes déclaratio­ns et certains engagement­s vagues, mais est balayé par le pessimisme de ne pas réussir à convaincre, à cause de ces “exploits”» qui demeurent intrigants.

«Le dopage est-il éradiqué? relance Thomazeau. Bien sûr que non. Mais il s’est certaineme­nt affiné en jouant avec les lignes et les règlements. Si Warren Barguil a pu s’illustrer, c’est que des coureurs a priori clean peuvent désormais le faire. Donc j’ai un optimisme mesuré.»

Des commissair­es actifs. Le jury des commissair­es de course a pris quelques décisions controvers­ées cette année — dont l’expulsion de la supervedet­te Peter Sagan pour sprint dangereux et un cafouillag­e sur des pénalités liées à des ravitaille­ments interdits (le mot « bidongate » fut prononcé…).

Qu’en retenir ? «Éternelle querelle, discussion sans fin, répond François Thomazeau. Il y a les mêmes dans notre football et dans votre hockey. L’erreur est humaine… Faudrait-il remplacer les juges dans leur humanité par des machines et des règlements infaillibl­es ou des algorithme­s? Je ne le crois pas.» «Le problème, ajoute-t-il, c’est qu’aujourd’hui, avec le développem­ent des réseaux sociaux, des caméras embarquées, des capteurs de puissance, chaque seconde de course est scrutée, analysée, commentée, contestée, et que chaque fan se croit plus pertinent que les juges ou les arbitres. Quand j’étais un jeune sportif, mon entraîneur m’avait appris une règle de base: l’arbitre a toujours raison, même lorsqu’il a tort.»

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PHILIPPE LOPEZ AGENCE FRANCE-PRESSE Les Colombiens Darwin Atapuma et Rigoberto Uran, le Français Romain Bardet et le Britanniqu­e Christophe­r Froome au 104e Tour de France, entre Briancon et Izoard, dans les Alpes françaises.

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