Le Devoir

La droite albertaine scelle son destin

Le PC et le Wildrose décideront s’ils s’unissent pour reprendre le pouvoir des mains du NPD

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le conservate­ur Jason Kenney fait campagne en Alberta depuis plus d’un an pour répéter ce que son ami et ancien patron Stephen Harper a réussi avant lui: la fusion de la droite politique. Le verdict tombera aujourd’hui, samedi, lorsque le Parti progressis­te-conservate­ur et le Wildrose décideront s’ils unissent ou non leurs forces pour tenter de reprendre le pouvoir des mains du NPD.

La finalité est on ne peut plus simple: «Le contrôle du gouverneme­nt », résume Tom Flanagan, professeur émérite de sciences politiques à l’Université de Calgary. «C’est de la politique très pragmatiqu­e. C’est très semblable à la fusion fédérale qui s’est tenue il y a 15 ans», observe celui qui a aussi été un proche conseiller de Stephen Harper, l’un des artisans de cette première union.

Consternée de ne voir nul autre que le Nouveau Parti démocratiq­ue déloger les conservate­urs, qui régnaient au pouvoir en Alberta depuis plus de 40 ans, la droite albertaine n’a pas réfléchi longtemps. Un peu plus d’un an après l’élection-surprise

de mars 2015, Jason Kenney annonçait qu’il rentrait en Alberta pour briguer la chefferie du Parti progressis­te-conservate­ur, puis unir les forces conservatr­ices de sa province.

«Un Parti conservate­ur uni [tel qu’il devrait s’appeler si l’alliance est entérinée] aurait de très bonnes chances de gagner la prochaine élection », note Tom Flanagan, qui plaidait luimême au lendemain de la dernière élection albertaine que les deux partis auraient à joindre leurs forces s’ils voulaient retrouver le pouvoir. «Alors que s’ils ne s’unissent pas, et que les deux partis font campagne séparément, je ne peux pas prédire l’avenir, mais il y a des chances raisonnabl­es de croire que le NPD pourrait être réélu.»

Le NPD de Rachel Notley a récolté 40% des voix il y a deux ans, suivi du Parti progressis­teconserva­teur avec 28%, puis du Wildrose avec 24%. Le Wildrose a cependant récolté 21 sièges, contre 10 pour le PC. Les néodémocra­tes ont profité de l’effondreme­nt du Parti libéral albertain — une dynamique politique qui n’a pas vraiment changé, remarque Tom Flanagan.

La sondeuse indépendan­te Janet Brown n’est pas aussi convaincue que le prochain scrutin serait dans la poche pour le NPD. D’une part parce que Rachel Notley et son gouverneme­nt sont très impopulair­es. Avant l’arrivée de Jason Kenney sur la scène fédérale, le Wildrose semblait en bonne posture pour les déloger. Un sondage Mainstreet, mené fin avril, donnait 21% des intentions de vote au NPD, 24% au PC et 33% au Wildrose.

Mais l’ancien ministre Kenney s’est lancé en politique provincial­e en martelant qu’il fallait unir la droite. «C’est devenu une prophétie qui s’est réalisée d’elle-même», raconte Janet Brown, en entretien depuis Calgar y.

Un éventuel Parti conservate­ur uni pourrait recevoir, cela dit, au moins 60% d’appuis, selon les sondages. Une proportion qui reste hypothétiq­ue puisque ce parti n’existe pas encore et qu’on ne sait pas qui le dirigera. «Quand vous posez des questions hypothétiq­ues, vous obtenez toujours des chiffres énormes», explique notre sondeur.

Reste que l’issue des deux votes sur la fusion, elle, semble presque assurée, selon Tom Flanagan et Janet Brown. «Je ne parie pas beaucoup d’argent. Je parie que ça passera, mais je ne gage pas trop gros », reconnaît cette dernière.

Le petit doute, c’est celui du vote des militants du Wildrose, qui doivent se prononcer à plus de 75% pour entériner l’union de leur parti avec le PC. Chez ce dernier, c’est plutôt une majorité simple de 50% + 1 des militants qui devront avoir choisi, par téléphone ou par Internet depuis jeudi, de s’unir au Wildrose, un peu plus à droite que lui. Non seulement le seuil pour la victoire est-il moins élevé, mais en plus, Jason Kenney a été élu chef de la formation avec plus de 75 % d’appuis en promettant la fusion. « Personne ne mène de campagne antifusion au sein du parti», relate Tom Flanagan.

Mais au Wildrose, c’est une autre paire de manches, observe Janet Brown. « C’est la nature humaine. C’est difficile de convaincre 75% des gens de s’entendre sur quoi que ce soit.» S’ajoute à cela le fait que cette fusion semble être un fait quasi accompli. «Les gens qui prévoient de voter “oui” ne seront peut-être pas aussi motivés à aller voter que ceux qui voteront “non”.»

Mme Brown n’a pas réussi à sonder les 43 000 membres que dit compter le Wildrose, ou les 50 000 qu’affirme rassembler le PC, car les listes sont confidenti­elles. Un nombre inconnu de personnes possèdent une carte de membre des deux partis — et pourront voter deux fois. Tom Flanagan admet que c’est notamment son cas, et qu’il entend voter “oui” dans les deux camps. Des néodémocra­tes se seraient quant à eux joints à l’un ou l’autre des partis pour s’opposer à leur union. Encore là, impossible de les dénombrer.

Les partisans de la fusion pourraient en outre être tentés de rester chez eux plutôt que d’aller voter en raison de la météo. L’assemblée du Wildrose se tiendra à Red Deer, entre Calgary et Edmonton, et pas très loin des incendies de forêt qui font rage en Colombie-Britanniqu­e. Les autorités recommande­nt aux citoyens de rester chez eux, car la fumée rend l’air difficile à respirer, raconte Janet Brown, qui le ressentait déjà cette semaine à Calgary.

Dans les deux camps, certains en ont contre l’autre parti. Au PC, on juge les gens du Wildrose trop à droite, notamment en matière de politiques sociales. Les membres du Wildrose trouvent que les progressis­tes-conservate­urs sont opportunis­tes, prêts à tout pour rester au pouvoir, et leur reprochent d’avoir accumulé des déficits dans le passé. Au Wildrose, non plus, il n’y a pas de «camp du non», hormis trois présidents de circonscri­ption — sur les 87 circonscri­ptions de la province — qui se sont opposés à la fusion, observe Tom Flanagan.

«Si vous regardez dans le passé des deux partis, chaque camp peut trouver des choses qu’il n’aime pas. Et leurs critiques sont probableme­nt justes, indique M. Flanagan. Mais je crois que la grande majorité des deux côtés s’inquiète davantage de l’avenir.»

Tout comme au fédéral, avant que l’Alliance canadienne et le Parti progressis­teconserva­teur ne décident de s’unir, les militants des deux partis appuyaient jadis la même formation conservatr­ice, rappelle-t-il. « Ils ont le même héritage et peuvent être réunis. » Et ce sera encore plus «facile», à son avis, puisque ce n’est qu’à l’échelle d’une seule province. «Vous n’avez pas à combler les fossés régionaux ou linguistiq­ues, comme il le fallait au fédéral. C’est une version plus petite, plus simple de la fusion fédérale. »

«Il y a beaucoup d’incertitud­e cette fin de semaine, mais une chose est sûre, c’est que le PC de l’Alberta n’existera plus lundi matin Janet Brown, sondeuse indépendan­te

Mort et presque enterré

Nonobstant le résultat des votes, le Parti progressis­teconserva­teur albertain sera bel et bien mort et enterré, selon Janet Brown. «C’est toujours ce qui se passe en Alberta: on a des dynasties politiques, et quand ces dynasties s’écroulent, le parti disparaît.» Les libéraux ont régné pendant 16 ans, au début des années 1900, suivis du parti United Farmers of Alberta, qui a gouverné durant 14 ans, avant d’être remplacé par le Parti du crédit social de l’Alberta pendant 36 ans, à qui a succédé le Parti progressis­te-conservate­ur durant 44 ans.

Les forces conservatr­ices finissent toujours par se rassembler dans une nouvelle formation. «Il y a beaucoup d’incertitud­e cette fin de semaine, mais une chose est sûre, c’est que la bannière PC, le Parti progressis­te-conservate­ur de l’Alberta, n’existera plus lundi matin », prédit Janet Brown.

Le paysage politique albertain ne comptera pas pour autant moins de joueurs, selon elle. Car les résultats des votes du PC et du Wildrose pourraient très bien laisser la porte ouverte à d’autres changement­s. «On va avoir beaucoup de plaisir à analyser les chiffres, quels qu’ils soient», se réjouit déjà l’experte des sondages.

Un vote faible chez les progressis­tes-conservate­urs pourrait vouloir dire que certains, dans ce camp, voudront se bâtir un nouveau parti plus au centre ou en rejoindre un existant. Un vote peu enthousias­te du côté du Wildrose pourrait laisser présager qu’une formation plus à droite restera en selle.

Quant à Jason Kenney, son ultime pari ne sera pas encore gagné. Bien qu’il ait réussi à se faire élire à la tête du PC, il est moins populaire que son rival, Brian Jean, qui dirige le Wildrose. Ce dernier récolte cinq ou six points de pourcentag­e de plus que Jason Kenney, qui gagne environ 60% d’appuis lorsqu’on sonde les Albertains pour savoir qui ils préférerai­ent voir à la tête du futur Parti conservate­ur uni.

Les deux hommes se sont lancés dans l’arène politique albertaine après une carrière au fédéral, mais Brian Jean est revenu depuis 2014, alors que Jason Kenney est revenu en 2016. D’autres politicien­s pourraient eux aussi se porter candidats en vue d’un choix en octobre prochain si la fusion se confirme bel et bien.

«Arriver comme un outsider en briguant la chefferie d’un parti [en promettant d’essentiell­ement l’abolir en le joignant à un autre], c’est presque du jamais vu et c’est vraiment audacieux », remarque Tom Flanagan en faisant l’éloge du travail accompli jusqu’ici par Jason Kenney. Mais la seconde manche sera autrement plus corsée, prévient-il. «C’est impossible à prédire. Ce ne sera certaineme­nt pas une sinécure.»

 ?? TODD KOROL LA PRESSE CANADIENNE ?? Le chef du Parti progressis­te-conservate­ur de l’Alberta, Jason Kenney
TODD KOROL LA PRESSE CANADIENNE Le chef du Parti progressis­te-conservate­ur de l’Alberta, Jason Kenney
 ?? CODIE MCLACHLAN LA PRESSE CANADIENNE ?? Le chef du parti Wildrose, Brian Jean
CODIE MCLACHLAN LA PRESSE CANADIENNE Le chef du parti Wildrose, Brian Jean

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