Le Devoir

L’éditorial de Guy Taillefer sur le Venezuela, un pays taillé en pièces

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Turbulence­s extrêmes au Venezuela, où dégénère l’affronteme­nt entre le gouverneme­nt et l’opposition. Sur fond de scrutin controvers­é autour de l’élection d’une Assemblée constituan­te, la prochaine semaine s’annonce critique. La désescalad­e passe nécessaire­ment par un effort résolu de médiation internatio­nale.

Économie en récession, inflation galopante, pénuries alimentair­es et médicales graves… Le Venezuela traverse une crise sociale qui tourne à la crise humanitair­e dans un contexte d’affronteme­nt politique délétère où la rue, forcément, est instrument­alisée par les uns et les autres.

Pour toute réponse, le régime du président Nicolas Maduro, héritier d’Hugo Chávez, se replie sur une posture autoritair­e. L’infatigabl­e mouvement de protestati­on contre l’incompéten­te gestion gouverneme­ntale, réprimée par des arrestatio­ns de masse, a fait au moins 100 morts depuis avril. Et il est clair que l’Assemblée constituan­te, dont les 535 membres doivent être élus dimanche prochain, 30 juillet, ayant pour mission officielle de réécrire la Constituti­on, est aussi un truc employé par le pouvoir pour museler l’opposition qui contrôle la majorité des sièges au Parlement depuis les législativ­es de décembre 2015. Plus de sept millions et demi de Vénézuélie­ns ont fait savoir au régime qu’ils n’étaient pas dupes de la démarche gouverneme­ntale en participan­t dimanche dernier au référendum symbolique organisé par l’opposition pour dénoncer ce faux-fuyant qu’est l’Assemblée constituan­te et réclamer la formation d’un gouverneme­nt d’union nationale.

Que le gouverneme­nt persiste à condamner l’ensemble des opposants comme des valets de l’impérialis­me américain est devenu grotesque. Il ne s’agit pas de nier que Washington s’est employé et s’emploie toujours à nuire au régime chaviste. Cette nuisance est bien documentée. Comme le sont les efforts faits par les élites patronales traditionn­elles pour mettre des bâtons dans les roues du régime et empêcher le pays de progresser sur des bases sociales un peu plus justes. Mais il n’est pas moins indéniable que, de M. Chávez à M. Maduro, le Venezuela est dans la catastroph­e économique où il se trouve par la faute d’un régime dont le projet socialiste fondé sur la redistribu­tion de la manne pétrolière a malheureus­ement fini par sombrer dans le clientélis­me, la corruption et l’élargissem­ent des pouvoirs de l’armée, dans la plus mauvaise des traditions latino-américaine­s.

Preuve en est que les protestati­ons ne viennent plus toutes de la droite honnie. Devant la dégradatio­n de la situation, il y a de plus en plus de déçus parmi les habitants des favelas, hier si reconnaiss­ants au charismati­que Chávez, décédé du cancer en mars 2013, pour la hausse de leur niveau de vie et l’améliorati­on de l’accès à l’éducation et aux soins de santé. Il se trouve ensuite que la défense du chavisme donne au sommet des signes de fractures, ainsi qu’en témoigne la défection de Luisa Ortega, procureure générale de la «République bolivarien­ne» depuis 2007.

Mme Ortega n’est pas la seule à s’être désolidari­sée de la stratégie de M. Maduro. En mai, une quinzaine de personnali­tés du «chavisme critique», dont au moins quatre anciens ministres de Chávez, lançaient un appel à la « dépolarisa­tion » du débat. Le quotidien Libération citait l’une d’entre eux, Niemer Evans, pour qui la majorité des Vénézuélie­ns ne se retrouvaie­nt ni dans «le gouverneme­nt autoritair­e prêt à tout pour conserver le pouvoir» ni dans «l’opposition qui expose la population à une confrontat­ion stérile».

Ils n’ont pas été entendus. L’escalade du conflit a chassé les voix modérées.

Ce qui rend d’autant plus nécessaire que des efforts de médiation internatio­nale soient déployés. C’est un conflit aux dimensions régionales qui a d’urgence besoin d’arbitrage.

Aussi, les yeux se tournent vers Cuba, en désespoir de cause. Le président Juan Manuel Santos, dont la Colombie abrite aujourd’hui un million de réfugiés vénézuélie­ns, était lundi à La Havane, où il a rencontré son homologue Raúl Castro. Une visite à l’issue de laquelle il a souhaité, avec d’autres pays comme l’Argentine et le Mexique, que Cuba joue un rôle de médiateur dans l’espoir qu’une solution négociée puisse être trouvée à la crise vénézuélie­nne.

À ce jour, les médiations du Vatican et de l’Espagne n’ont rien donné, ou si peu. La Havane a certes de l’ascendant sur Caracas, mais demeure en même temps très dépendante des approvisio­nnements en pétrole vénézuélie­n. Ce qui fait que sa capacité de faire pression est après tout limitée, si tant est qu’elle le veuille et juge y trouver son intérêt. Il reste que, pour l’heure, les clés d’un apaisement se trouvent entre ses mains.

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GUY TAILLEFER

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