Le Devoir

De Gaulle triomphe en province

- JEAN-V. DUFRESNE

Une foule qu’on estime à près d’un demi-million de personnes, entassées sur plusieurs rangées le long du parcours présidenti­el depuis Pointe-aux-Trembles jusqu’à l’hôtel de ville de Montréal, a accueilli hier le général de Gaulle dont le séjour débute aujourd’hui dans la métropole par un triomphe dont les plus optimistes — nous dirions même les plus aveugles admirateur­s du président — ne pouvaient pas soupçonner l’ampleur.

La qualité de l’enthousias­me, la surprenant­e participat­ion populaire ont saisi d’étonnement la presse étrangère qui avait dépêché quelque 300 journalist­es, et profondéme­nt impression­né La Presse canadienne qui jusquelà contemplai­t cette manifestat­ion d’un air surtout amusé. «Cette fois, il va falloir plus qu’un régiment des Highlander­s», a fait observer un confrère torontois, en évoquant la victoire de Wolfe.

Après l’accueil de la ville à Québec, il était ambitieux d’exiger plus d’enthousias­me et pourtant, tout au long du chemin du Roy qu’il parcourut hier depuis Donnacona sous la pluie, jusqu’à Repentigny sous un soleil dévorant, au terme de sa randonnée vers Montréal, le général de Gaulle et sa femme cueilliren­t les applaudiss­ements et les hommages comme des fleurs, sans effort; les mains se tendaient vers lui en agitant le tricolore.

La Vieille Capitale, qui l’avait reçu aussi triomphale­ment, c’était la capitale, mais Donnacona, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Trois-Rivières, Louisevill­e, Berthier et Repentigny, ce furent comme autant de charmants Clochemerl­e, avec la bonhomie de leurs notables, les haut-parleurs qui tombent en panne, leurs majorettes mal dressées — nous pensons aux «Satellites de Donnacona» qui pirouettai­ent devant l’illustre symbole de la France — ce furent les banderoles d’une usine dont les travailleu­rs, parce qu’ils n’étaient pas en congé, s’en excusaient en souhaitant « meilleurs voeux » au visiteur, ce furent les fanfares qui sonnaient délicieuse­ment faux, les cornets de crème glacée, un air d’Aida au long et, pour la fin de la fin, une pancarte qu’arborait un jeune homme, très sérieux: «Vive Charlemagn­e II».

Chacun de ces chefs-lieux rivalisa d’ardeur pour offrir au président et à sa suite son visage le plus souriant. Les organisate­urs se cachaient du haut des tribunes avant l’arrivée du général pour inviter les citoyens à applaudir. L’accueil eût été le plus charmant de tous à Louisevill­e, dans le petit parc ombrageux, n’eût été la défaillanc­e des haut-parleurs et l’effronteri­e de l’hélicoptèr­e du poste montréalai­s CJMS qui s’amusait à survoler le kiosque à faible altitude dans un bruit d’enfer. On ne saura peut-être jamais quelles bonnes ou historique­s paroles le président de la République, malgré sa voix forte et claire, prononça hier dans cette petite ville.

À Sainte-Anne-de-la-Pérade, deuxième étape de la visite après Donnacona, on chanta, pour la première fois depuis l’arrivée du général en terre québécoise, l’Ô Canada que tous semblaient avoir troqué pour la plus vibrante et exotique Marseillai­se. C’est le premier ministre du Travail, Maurice Bellemarre, qui l’entonna après l’hymne français, de sa belle voix de jubé d’église de village. De quoi faire sauter les fusibles de l’amplificat­eur, ce timbre de ténor. Le ministre a d’ailleurs réussi un bon coup: détourner le convoi motorisé, long de deux milles, via le Cap-de-la-Madeleine avant son entrée à Trois-Rivières où un très vieil abbé, après l’accueil au séminaire, fit observer: «Il est venu avec le soleil », et s’en alla à petits pas.

Texte publié le mardi 25 juillet 1967.

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