Le Devoir

Le duel entre Google et Bruxelles n’est pas près de finir

- CÉLINE LE PRIOUX à Bruxelles

Le duel entre Google et la Commission européenne, qui a infligé une amende record fin juin au géant américain pour abus de position dominante, risque de durer encore des années.

« Il se prépare une décennie de cauchemar pour Google », prédit Jacques Lafitte, de la société de conseil Avisa à Bruxelles et représenta­nt un plaignant, le moteur français de recherches vertical 1 plus V.

Des deux côtés, les enjeux de cette bataille qui traîne déjà depuis bientôt sept ans sont de taille. Pour Google, la décision de l’exécutif européen pourrait le forcer à revoir son modèle de développem­ent économique. Ces dernières années, le groupe américain a en effet lancé une panoplie de services spécialisé­s dans des contenus spécifique­s, dits « ser vices verticaux» — tels Google Shopping, Images, Maps — qu’il favorise au détriment de ses concurrent­s, en abusant de sa position dominante dans la recherche en ligne. S’il veut se conformer aux demandes de Bruxelles, Google va devoir changer ses pratiques.

Pour la Commission européenne, qui a adopté une position bien plus dure que son pendant américain dans un contentieu­x similaire — début 2013, une enquête aux États-Unis a été close à la suite des promesses de bonne conduite de Google —, ce cas pourrait lui donner la possibilit­é d’apparaître comme le nouveau shérif de l’économie numérique. D’autant que l’exécutif européen a sur le feu deux autres cas antitrust où il pourrait sanctionne­r Google: Android, système d’exploitati­on sur téléphone intelligen­t — une décision à venir en décembre, murmure-t-on à Bruxelles — et AdSense, sa régie publicitai­re.

Quoi qu’il en soit, la balle est désormais dans le camp du géant de l’Internet: il a jusqu’à mi-septembre pour dire s’il fait appel ou pas de la décision de la Commission devant la Cour de justice de l’UE.

L’appel n’étant pas suspensif, Google va donc devoir, dans un premier temps, payer l’amende de 2,42 milliards d’euros. L’américain doit également informer Bruxelles d’ici fin août des solutions qu’il propose pour mettre fin à ses pratiques jugées anticoncur­rentielles, via lesquelles il a favorisé son comparateu­r de prix Google Shopping en le faisant apparaître en haut des résultats de recherche en ligne.

Ces remèdes seront ensuite étudiés par un expert en haute technologi­e, que la Commission européenne compte recruter spécialeme­nt, et éventuelle­ment présentés à des plaignants. S’ils sont jugés suffisants, Google a jusqu’au 28 septembre pour les mettre en oeuvre. Faute de quoi, l’entreprise sera soumise à des astreintes pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires moyen réalisé quotidienn­ement sur le plan mondial par Alphabet, société mère de Google.

Quelle riposte ?

Interrogé par l’AFP, Google n’a pas voulu donner le moindre détail sur sa riposte. Au moment de l’annonce de la sanction, le géant du Web avait seulement indiqué évaluer l’éventualit­é de faire appel. «Pour l’instant, ils n’ont encore rien décidé», a indiqué une source proche du dossier à l’AFP. «Il est en tout cas possible que soit négocié un délai pour mettre en oeuvre les remèdes »,a ajouté la même source.

Cette dernière relève ainsi que, dans la plupart des affaires antitrust, la Commission impose le remède au moment où est prononcée la sanction. Or, dans ce cas-là, l’exécutif européen somme Google de respecter «le principe de l’égalité de traitement» et le charge de trouver la solution pour y parvenir, ce qui peut prendre quelque temps avant de s’entendre dessus.

Parmi les plaignants, Monique Goyens, directrice générale du Bureau européen des Unions de consommate­urs, réclame «un changement dans le système d’algorithme­s de Google, conçus au détriment du consommate­ur, puisqu’ils donnent la prééminenc­e à ses produits ou à ceux qui ont payé pour être en haut des résultats de recherche». «Si Google ne trouve pas une façon de régler le problème pour Shopping, des plaintes sur d’autres services verticaux suivront», prédit Eric Léandri, patron du moteur de recherches français Qwant, membre de l’Open Internet Project, une associatio­n de sociétés plaignante­s. Et M. Léandri de citer «l’énorme ébullition actuelleme­nt sur Google Images». En avril 2015, l’agence photo et banque d’images américaine Getty avait ainsi déposé une plainte à Bruxelles, accusant notamment Google de promouvoir le piratage.

Par ailleurs, la Commission européenne a incité les concurrent­s de Google qui s’estiment lésés à réclamer des dommages et intérêts devant les tribunaux de commerce nationaux.

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LLUIS GENE AGENCE FRANCE-PRESSE S’il veut se conformer aux demandes de Bruxelles, Google va devoir changer ses pratiques.

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