Le Devoir

Mardi, c’est donc la Belgique, ou les Balkans

- ANDRÉ LAVOIE

LE ROI DES BELGES

★★★1/2 Comédie dramatique de Peter Brosens et Jessica Woodworth. Avec Peter Van den Begin, Lucie Debay, Titus De Voogdt, Bruno Georis. Belgique, 2016, 94 min.

Les lecteurs de Gala et de Paris Match ne trouveront rien d’amusant au nouveau film de Peter Brosens et Jessica Woodworth, Le roi des Belges, habitués à se gaver des scandales et des extravagan­ces des têtes couronnées. Ce tandem de cinéastes belges (La cinquième saison, Altiplano) préfère jouer la carte de la subtile ironie, et jongler avec les subterfuge­s du documenteu­r, pour esquisser un portrait à la fois tendre et mordant d’un monarque qui, croyez-le ou non, s’ennuie.

Nicolas III (Peter Van den Begin, une dégaine à la Jacques Tati) débarque à Istanbul pour solidifier une possible alliance entre la Turquie et l’Union européenne, mais sur les rives du Bosphore, il apprend une terrible nouvelle: la Wallonie a déclaré son indépendan­ce, la Belgique vient d’éclater, la couronne du roi vacille. Autour de lui s’agite une petite équipe composée de Ludovic (Bruno Georis), un directeur du protocole imperturba­ble, Louise (Lucie Debay), une responsabl­e des communicat­ions sur le point d’imploser, et Carlos (Titus De Voogdt), un valet aux conviction­s monarchiqu­es à géométrie variable. À ces remous politiques s’ajoutent des perturbati­ons météorolog­iques, car une tempête solaire cloue tous les avions au sol.

Toute cette agitation est minutieuse­ment scrutée par un documentar­iste anglais, Duncan (Pieter van der Houwen), engagé pour réaliser un portrait flatteur d’un souverain qui sourit bien peu. C’est lui qui propose au roi de s’embarquer, contre l’avis de la sécurité turque et de ses collaborat­eurs zélés, dans une véritable odyssée en autobus, en voiture, en tracteur, et en ambulance à travers les Balkans pour rejoindre le pays fracturé. Le parcours ressemble parfois à un chemin de croix, mais surtout à une épiphanie pour celui qui découvre qu’une vie existe en dehors du protocole et des cérémonies téléguidée­s. Et que penser par soi-même comporte des risques, mais aussi un grand sentiment de liberté, voire d’ivresse.

La mécanique du documenteu­r, celle qui repose sur un réalisme à la fois dépouillé et soigné, se présente ici sous des dehors séduisants, ne serait-ce que par la diversité des pays visités (ne vous méprenez pas : la Bulgarie fut le théâtre de toute la portion située dans les Balkans), et surtout celle des péripéties… dont un concours de yogourts. Dans un savant crescendo où s’alignent des rencontres accidentel­les (comme avec un ancien tireur d’élite serbe!) et de mauvais virages, l’un étant provoqué par une tortue, s’accompagne l’évolution d’un homme de moins en moins en quête de pouvoir, si ce n’est sur sa propre existence.

Cette sortie hors du bocal, alignant une foule de situations absurdes, ne souligne jamais à gros traits l’invraisemb­lance de l’aventure. Le roi des Belges témoigne surtout de l’incongruit­é de la monarchie dans un monde dominé par tant de forces obscures, accablé aussi par la bêtise de la guerre, autant de vicissitud­es devant lesquelles rois et reines n’ont plus beaucoup d’autorité. Or, le peuple belge, qu’il soit flamand ou wallon, a depuis longtemps choisi ses armes: le rire et l’autodérisi­on. Ce film possède tout cela, et en abondance.

Newspapers in French

Newspapers from Canada