Le Devoir

D’amour et de lumière

Jean-Christophe Rufin livre un conte moral fait d’élégance et de sagesse

- FABIEN DEGLISE

Il y a beaucoup de vrai dans le faux mis en roman par Jean-Christophe Rufin dans Le tour du monde du roi Zibeline, conte moral et philosophi­que aux accents de ceux déposés au patrimoine mondial par les Voltaire, Rousseau ou Diderot à une autre époque, et qui s’inspire du destin singulier de Maurice Auguste Beniowski, aventurier et aristocrat­e, célèbre dans les pays d’Europe centrale. Né en 1746, l’homme a été formé aux Lettres par un précepteur français et aux armes par un père militaire. Il a connu l’exil en Sibérie, il a sillonné les mers du globe, a arpenté la Chine, le Japon, le Brésil avant de finir sa vie roi de Madagascar. Il vivra également une histoire d’amour intense avec la fille d’un gouverneur qui va l’aider à s’enfuir lors de son emprisonne­ment en Russie.

Amour et Lumières, voilà ce que retient de cette vie hors du commun l’auteur de L’Abyssin et de Check-point dans ce récit à deux voix, celle d’Auguste et celle d’Aphanasie, qui remonte le fil d’une existence unique en lui donnant la tonalité de ces récits orientaux pouvant tenir éveillé mille et une nuits.

Tout commence par une rencontre imaginée par l’auteur entre Beniowski, baron de son état, issu la noblesse hongroise et polonaise, sa compagne et Benjamin Franklin, père fondateur des États-Unis, à qui le roi Zibeline vient demander de l’aide pour repousser les Français de son territoire baignant dans l’Océan indien. On est à Philadelph­ie en 1784. L’illustre chef d’État est fatigué par sa propre existence et par les nombreux fâcheux qui frappent à sa porte. Le charisme d’Auguste, qui se dit roi, l’intrigue. Le parfum et la beauté d’Aphanasie le séduisent. Les deux invités débarquant à l’improviste chez lui vont commencer par lui raconter leur vie.

Le style de Jean-Christophe Rufin épouse les contours de celui des grands classiques de la littératur­e pour construire ce fabuleux récit d’aventure, dans l’espace et dans le temps, cette fable qui fait du voyage, des rencontres et des aléas qu’il induit, ce terrain propice pour raconter les caractères, ébranler les certitudes, mais qui vient surtout nourrir ces questionne­ments sur l’être et la place qu’il occupe dans l’univers.

Sans l’ombre d’un doute, Auguste est un voltairien, rêvant de science et de progrès. Aphanasie est une féministe avant l’heure, lectrice de Diderot et de son Supplément au voyage de Bougainvil­le. Leur double perspectiv­e sur une même trajectoir­e donne ce dynamisme au récit. L’inclinaiso­n respective de leur regard balise également une réflexion forte sur la violence des hommes — et des femmes, aussi —, sur le libre arbitre, sur l’égalité, sur l’autodéterm­ination des peuples, des thèmes chers et sans doute fondateurs de l’oeuvre de Rufin, qui manie habilement l’art de mettre la philosophi­e au diapason du romanesque. Chose qu’il fait remarquabl­ement encore ici, dans ce roman qui propulse dans la grande histoire en passant par la petite, qui convoque autant le souvenir d’un Jules Verne que d’un Alexandre Dumas, et qui surtout confirme l’idée que l’existence humaine, peu importe l’endroit et l’époque, est bel et bien une grande aventure.

LE TOUR DU MONDE DU ROI ZIBELINE ★★★★

Jean-Christophe Rufin Gallimard Paris, 2017, 370 pages

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JOEL SAGET AGENCE FRANCE-PRESSE Jean-Christophe Rufin manie habilement l’art de mettre la philosophi­e au diapason du romanesque.

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