Le Devoir

Le statut du foetus au coeur du procès

L’accusation de meurtre prémédité de « bébé Ghazi » va relancer le débat sur le droit juridique d’un enfant à naître

- AMÉLI PINEDA

La mort d’un bébé poignardé dans le ventre de sa mère pourrait rouvrir le houleux débat sur le statut du foetus au Canada. Mardi, Sofiane Ghazi a été accusé du meurtre prémédité du bébé de sa conjointe, qui après une césarienne d’urgence a finalement succombé à ses blessures.

Dans la nuit de dimanche à lundi, Sofiane Ghazi aurait poignardé sa conjointe, Raja Ghazi, à de multiples reprises dans son appartemen­t de Montréal-Nord. La plupart des coups auraient été portés vers le ventre de la femme de 33 ans, qui était enceinte de huit mois.

L’acte d’accusation déposé mardi au palais de justice de Montréal souligne que l’homme a causé la mort de «bébé Ghazi».

La Couronne a tenu à faire le point après la comparutio­n de M. Ghazi sur l’aspect juridique de cette affaire qui a suscité de vives réactions au sein de la population.

«On peut commettre un homicide si on inflige des blessures à un enfant avant ou après sa naissance et si de ces blessures découle la mort s’il est devenu un être humain», a expliqué Me Anne Aubé, procureur en chef adjointe en matière de violence conjugale au Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP).

En d’autres mots, «l’enfant devait être vivant et décédé par la suite» pour que de telles accusation­s puissent être portées, a-t-elle résumé.

La Couronne a également expliqué qu’on se trouve devant un cas rare. «On a évidemment analysé la jurisprude­nce avant de porter des accusation­s, mais c’est souvent du cas par cas et des situations rarissimes avec toutes sortes de variantes», a indiqué Me Aubé.

Nouveau-né ou foetus

L’article 223 du Code criminel est clair, selon l’avocat criminalis­te Jean-Pierre Rancourt. Le Code criminel indique qu'«un enfant devient un être humain au sens de la loi lorsqu’il est complèteme­nt sorti, vivant, du sein de sa mère », et ce, «qu’il ait respiré ou non», «qu’il ait ou non une circulatio­n indépendan­te » et «que le cordon ombilical soit coupé ou non ».

Puisque la preuve n’a pas encore été rendue publique, on peut s’attendre à voir la défense soulever que l’enfant était un foetus au moment des événements, selon Me Rancourt. «Au Canada, le foetus n’a aucun statut légal dans le Code criminel. Pour être considéré comme un être humain, il faut que les médecins aient constaté une naissance. »

Juge à la retraite de la Cour du Québec, Nicole Gibeault souligne également que la loi est claire quant aux droits du foetus blessé qui décède après sa naissance. « La seule analyse qu’on peut faire à ce stade-ci, c’est que la Couronne a assez d’éléments en main pour montrer que le foetus est devenu un être humain », dit-elle.

Récemment, la question du statut d’un bébé blessé alors qu’il était toujours dans le ventre de sa mère s’est posée alors qu’une femme enceinte était happée par une automobili­ste à Québec, en août 2016.

Dans ce cas-ci, après une césarienne d’urgence, le bébé a survécu, mais la mère est décédée. Le conducteur avait été accusé de négligence criminelle causant la mort de la mère de famille et de négligence causant des lésions au bébé.

Comparutio­n

M. Ghazi a comparu mardi après-midi par vidéoconfé­rence au palais de justice de Montréal. Vêtu d’un polo noir, l’accusé est demeuré impassible lors de son bref passage devant le juge. Puisqu’il ne faisait que hocher de la tête pour répondre aux questions, la juge a dû lui demander de prononcer quelques mots pour confirmer qu’il comprenait ce qui se disait. « Oui, votre honneur », a-t-il prononcé.

En plus des accusation­s de meurtre prémédité et de tentative de meurtre, il fait aussi face à des accusation­s de vol de véhicule, de vol qualifié, de menaces de mort ainsi que de non-respect de conditions de liberté.

L’accusé demeurera détenu jusqu’au 25 août, date de sa prochaine audience. Il lui est interdit de communique­r avec sa conjointe, ses deux enfants ainsi que leur grand-mère maternelle.

Quelques heures avant la tragédie, les policiers avaient visité le domicile de Mme Ghazi à la suite d’un appel pour violence conjugale. M. Ghazi s’y serait présenté, même s’il lui avait été interdit de se trouver chez la victime et d’avoir tout contact avec elle.

À la suite de l’interventi­on des policiers, les deux jeunes enfants du couple avaient même été confiés à un membre de la famille, peu avant le drame. Les policiers auraient suggéré à Mme Ghazi de quitter les lieux. La mère de famille avait décidé de rester à son domicile.

Vers 2 h 30 du matin, les policiers ont été alertés par des voisins de Mme Ghazi de la tragédie.

Newspapers in French

Newspapers from Canada