Festival Fantasia.
Le sombre polar d’Éric Valette.
«C’est un très grand plaisir de revenir, je garde un souvenir ému de Fantasia. Déjà à l’époque, c’était grand et impressionnant, et j’ai l’impression que le festival a encore grandi », confie le réalisateur français Éric Valette (One Missed Call, La proie), qui était venu y présenter son premier long métrage en 2003, le drame fantastique Maléfique.
Cette fois, le cinéaste accompagnera son nouveau film, Le serpent aux mille coupures, thriller mettant en vedette Tomer Sisley (Largo Winch), Terence Yin (vu chez Takashi Miike) et Pascal Greggory (acteur fétiche du regretté Patrice Chéreau), tiré d’un très court roman de DOA.
«Ce que j’aime chez cet auteur, c’est qu’il a un grand sens du rythme, un grand sens de la complexité, à la fois dans les récits qui s’enchevêtrent et dans la morale des personnages. Dans ce roman, il a campé l’action dans le sud-ouest de la France, dont je suis originaire puisque je suis né à Toulouse; du coup, il y avait beaucoup de choses qui résonnaient en moi. En plus, cette campagne-là, qui a toujours existé, est très peu représentée dans le cinéma français, qui est extrêmement parisien et bourgeois. »
Western moderne
Tourné à Rabastens, à Gaillac, à Toulouse et en Belgique, Le serpent aux mille coupures met en scène un mystérieux motard (Sisley) qui, blessé, se réfugie chez Stéphanie (Erika Sainte) et Omar Petit (Cédric Ido), parents d’une fillette (Victoire De Block). Ce que la famille ignore, c’est que l’homme, qui a quitté les lieux d’un carnage, est activement recherché par des barons de la drogue colombiens, par le lieutenant-colonel Massé du Réaux (Greggory) et par un effroyable tueur à gages nommé Tod (Yin).
« Avec le personnage de Tomer, on est un peu dans L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood; je sais que Tomer avait déjà vu ce film, mais je ne sais pas s’il l’a revu pour se préparer au rôle. Pascal adore être dans autre chose que les rôles où il est catalogué; il était ravi d’être dans cette aventure. Quand j’ai donné le portrait-robot du type que je cherchais au producteur à Hong Kong, c’est le nom de Terence, que je ne connaissais pas, qui est tombé. Ce n’était pas facile de trouver un acteur chinois qui parle bien l’anglais, car plusieurs ne voient pas l’intérêt d’apprendre cette langue. »
Outre le film d’Eastwood de 1973, l’autre grande inspiration du Serpent aux mille coupures, qui prend par endroits l’allure d’un violent western crépusculaire, est un thriller de Sam Peckinpah de 1971: «Je suis un grand fan de western; je voyais ce film comme un western contemporain, désenchanté, un thriller comme Les chiens de paille. Comme les westerns s’articulent toujours autour de récits moraux, j’avais l’idée de retrouver le gamin que j’étais quand il regardait des westerns et qui, d’un seul coup, peut se permettre d’en faire un en plus grand. »
Bien que le film ait été tourné en numérique, Éric Valette et le directeur photo Jean-François Hensgens (À perdre la raison de Joachim Lafosse) ont fait en sorte de lui donner une facture rappelant le cinéma américain des années 1970: «On a beaucoup travaillé sur de très basses lumières. On a tourné avec très peu de profondeur de champ, avec un diaphragme extrêmement ouvert et beaucoup de filtres pour qu’on arrive à une certaine granulation qui rappelle la pellicule. Il y a donc un côté organique qui se rapproche de l’image des années 1970. »
Climat de terreur
Alors que le roman est campé peu après les tragiques événements de septembre 2001, Éric Valette a préféré situer l’action à l’hiver 2015. Dans un premier temps, il y avait un souci d’économie puisque ce choix lui évitait d’avoir à utiliser des véhicules et des plaques d’immatriculation d’époque; dans un second temps, il y avait l’envie d’ancrer l’action dans l’ici, maintenant.
«C’était une façon d’inscrire le récit dans quelque chose qui est toujours en cours, à savoir la paupérisation des campagnes françaises, la globalisation, le terrorisme, qu’on a d’ailleurs vécu en France de manière plus marquante qu’il y a une quinzaine d’années. Finalement, ces thèmes sont toujours d’actualité. J’aime bien qu’il n’y ait pas de distance.»
D’un climat anxiogène, Le serpent aux mille coupures comporte quelques scènes qui risquent de retourner l’estomac des spectateurs plus sensibles, notamment une scène de torture où une femme passe un très mauvais quart d’heure entre les mains de Tod.
«Je ne suis pas un grand amateur de tournage de ce genre de scènes, qui sont très techniques, mais en même temps, j’aime bien l’idée qu’il n’y ait pas d’hypocrisie autour de ces scènes. J’opte donc pour la frontalité, l’honnêteté, sans pour autant aller dans la complaisance ni l’exploitation façon “torture porn”, qui n’est pas du tout du cinéma que j’aime. J’essaie toujours de traiter ce genre de scènes avec une forme de minimalisme et de sobriété. Quand j’estime que le spectateur a été choqué, j’arrête la scène.»
LE SERPENT AUX MILLE COUPURES Au Théâtre D. B. Clarke le 26 juillet et à la salle J.A. De Sève le 28 juillet